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Doublage, Re-Doublages et Re-re-doublages, mais à quoi bon ?

Introduction


Didier Gustin dans "Kuzco, l'empereur mégalo"
Crédits : ©Disney

La question des redoublages francophones Disney est une très longue saga qui prend ses racines aux origines même de celles du doublage lui-même. Les idées reçues sont pourtant très tenaces. Beaucoup pensent encore que ce phénomène est très récent, au plus il remonterait seulement à 30 ans. Pourquoi ? Parce que les années 1980 ont marqué les esprits par la démocratisation du cinéma à domicile. C'était l'époque de l'entrée massive des magnétoscopes à la maison et des premiers films commercialisés en VHS. Mais en réalité, il n'y a ici aucune relation de cause à effet. Non, non, vous avez tout faux ! Ce phénomène de redoublage Disney est bien antérieur à cette époque. Elle remonte même très loin dans le temps, du début des années 1950 aux années 1960 pour être exact, soit près de 70 ans maintenant ! Et pourtant, durant ces sept décennies, les nombreuses personnes qui se sont succédées à la tête de la branche francophone de Disney ont quasiment toujours choisi d'éluder la question, prônant même pendant 40 ans que « le redoublage n'existe pas »... Durant les années 1990, le discours a cependant évolué. Il n'était en effet plus possible de camoufler ce qui n'existait a priori pas, le consommateur ayant désormais sous la main toute les preuves compromettantes sous la main. Aujourd'hui, on parle surtout « d'actualisation du son pour une meilleure expérience cinématographique ». Ce dossier vous démontrera d'ailleurs que cet argument n'est ni vrai ni faux, il dépend toujours du contexte.

Avant de poursuivre, je précise que ce dossier a été écrit de façon à être ludique et n'a pas la moindre intention d'être à charge contre qui que ce soit, encore moins contre Disney puisque ce dossier va bien au delà de la question du redoublage de leurs films. Car dans les faits, le groupe Disney n'est pas le seul à blâmer pour ce type de comportement. Tous les autres grands studios américains, sans exceptions, tels que 20th Century Fox, Warner Bros ou même Universal ont tous procédés à des redoublages sur des films plus ou moins marquants. Ce n'est même pas un apanage francophone puisque tous les pays dont la langue maternelle ne correspond pas à celle parlée dans un film recours à un moment ou un autre au redoublage ! Mais il est vrai que la compagnie Disney reste incontestablement la plus emblématique d'entre elles, celle qui semble la plus touchée par cette épineuse problématique. Elle est donc celle sur qui l'ont tire le plus fréquemment à boulet rouge depuis des décennies. Pourquoi ? Parce que la plupart de ses oeuvres sont étroitement liées aux souvenirs d'enfance de leurs spectateurs, elles sont donc généralement très précieuses pour eux. Redoubler une oeuvre qu'ils ont tant aimé étant enfants, cela équivaut tout simplement à une trahison pure et simple du groupe Disney aux yeux de ses fans. La nostalgie serait-elle donc le principal problème du public francophone toujours aussi râleur ? Peut-être bien, mais pas seulement ! Il arrive aussi que Disney ait envie de revenir en arrière, mais elle est pied et point liés par des contraintes techniques, les réglementations ou même envers des personnes avec lesquelles elle est en négociation. Rares sont en effet les groupes qui sont aussi à l'écoute de ses fans que Disney. Bref, contre vents et marrées, bon gré mal gré, la branche française du groupe s'échine dans tous les cas à proposer une nouvelle expérience auditive irréprochable avec le talent qu'on lui connaît. Dans tous les cas cependant, jamais elle n'avouera officiellement pourquoi elle a réellement procédé à un nouveau doublage.

Si vous me lisez et consultez mon site depuis longtemps, vous savez déjà que je ne suis pas opposé au redoublage. C'est souvent une occasion unique de redécouvrir une oeuvre sous une sensibilité et des dialogues différents. C'est d'ailleurs pour cela que j'apprécie particulièrement l'existence de versions françaises et québécoises. Là où la version originale sera toujours figée dans son époque de conception, les multiples versions françaises permettent d'être un étonnant témoignage de l'évolution de la langue française à travers le temps, tout en permettant de découvrir avec stupeur que la qualité de l'adaptation d'un film de 1938 rivalise complètement avec son homologue de 2001 ! Par contre, je suis intimement opposé à l'escamotage pur et simple d'une version antérieure. A l'heure d'aujourd'hui, avec la possibilité de multiples pistes sonores sur les éditions vidéos, rien n'empêche, techniquement parlant, de proposer ancienne et nouvelle versions sur une seule et même édition vidéo (Dybex l'a bien fait pour Akira par exemple !). Malheureusement, jusqu'ici, cela n'est jamais arrivé chez Disney... Je pense d'ailleurs que vous êtes nombreux à vous poser de multiples questions à ce sujet et c'est précisément dans ce but que nous allons ensemble explorer le pourquoi du comment de cette problématique.

C'est ainsi à la lueur de nouveaux témoignages de fans, d'adaptateurs, de comédiens de doublage mais aussi de juristes, dont la plupart ont souhaité rester anonymes, que j'ai décidé de refondre complètement le plus populaire dossier disponible sur le site afin de pouvoir encore mieux vous aider à comprendre ce casse-tête que peut-être le doublage d'un film. Je vous propose donc de faire le tour de toutes les raisons identifiées à ce jour qui poussent Disney, et toutes les autres compagnies du divertissement francophone, à remplacer un doublage par un autre, quitte à se mettre à dos leurs fans de toujours !

Raison n°1 : La perte du support originel


The Walt Disney Archives
Crédits : ©Disney.com

La perte du support original français était la raison la plus évidente et la plus populaire parmi les spécialistes jusqu'à tout récemment. Elle ne concerne en réalité que très peu de films, tous doublés avant ou pendant la seconde guerre mondiale alors que le marché européen était fermé aux productions américaines. On a en effet longtemps considéré que les copies sur pellicule avaient été au mieux volées, au pire détruites durant le conflit. Mais depuis ces dix dernières années, il a été démontré qu'aucun des anciens doublages Disney n'avait été produit en France. Le premier doublage de 1938 de Blanche-Neige et les sept nains fut réalisé certes avec des comédiens francophones, mais chacun d'entre eux s'était déplacés à New York aux Etats-Unis pour enregistrer les dialogues. Ce n'était donc que des copies qui étaient ensuite envoyées en France pour exploitation en salle. Connaissant le soin apporté par le studio pour la conservation de son patrimoine, le support d'origine est donc vraisemblablement toujours disponible dans les archives Disney américaines.

Pour preuve, évoquons le cas de Pinocchio. On a longtemps pensé que Pinocchio n'avait connu que deux doublages en 1946 et 1975 (plus deux petites rectifications en 1995 et 2003 ensuite). Pourtant un énorme coup de tonnerre a frappé en 2009 lorsque le film a été pour la première fois commercialisé en Blu-ray. On y entendait pour la toute première fois une chanson d'introduction totalement inédite, qui ne reprenait pas le doublage français de 1946. D'où pouvait donc venir cette version, si ce n'est d'un doublage francophone réalisé et archivé aux États-Unis, datant peut-être même de 1939 avant que l'exploitation du film soit compromise en Europe ?! N'oublions d'ailleurs pas que le continent Nord Américain compte un certain nombre de francophones résidant principalement dans la grande province québécoise. Rien ne permet d'affirmer, ni d'infirmer, que le film ne fut pas exploité dans notre langue commune durant la seconde guerre mondiale.

Imaginons maintenant que la piste des archives Disney soient effectivement compromise. L'hypothèse de la destruction des copies envoyées en France est-elle toujours valable ? En réalité non. Même si la France était en plein conflit, Blanche-Neige et les sept nains est quand même revenu plusieurs fois à l'affiche, systématiquement avec son doublage d'origine, en 1939, 1940, 1942, 1944 et même 1945 ! Au sortir de la guerre, la version française d'origine continua encore à être exploitée : elle passa par la Belgique en 1951, avant de faire une grande tournée sur toute la France la même année. La dernière trace publique de l'exploitation de la version française d'origine remonte finalement à 1955... alors qu'elle fut projetée en Russie ! C'est d'ailleurs cette dernière copie qui est aujourd'hui conservée aux archives du film du CNC, tandis que subsiste également une autre version dans une collection privée qui servit de base au projet de fans de 2013.

En élargissant cette question de la perte du support d'origine aux longs métrages ultérieurs à la seconde guerre mondiale, cet argument ne tient pas mieux la route que dans le cas précédant. Prenons pour exemple Alice au pays des merveilles. Le film fut redoublé en 1974, même si officiellement ce n'était pas vrai. Soit. Comment alors expliquer qu'en 1996, la célèbre chanson « Peignons les roses en rouge » fut remplacée par la chanson du doublage original ? Disney France n'indiquera jamais d'où provenait cette version, la seule communication faite autour de ce film précisait simplement que le support de 1974 était abîmé et que ce segment avait donc du être remplacé. Par mégarde, car peu au fait à l'époque sur les questions de doublages, j'avais d'ailleurs lancé sur Internet, au début des années 2000, l'hypothèse de l'éventualité d'un redoublage partiel effectué 1996 qui s'est bien entendue finalement révélé totalement fausse. Pourtant, elle reste encore aujourd'hui extrêmement tenace sur la toile au point d'avoir figuré dans un article du magazine Les Années Laser (n°206, mars 2014), parmi d'autres inexactitudes et approximations, qui consacrait un dossier entier aux doublages Disney. La révision de ce dossier était l'occasion idéale de faire publiquement mon mea culpa !

En réalité, pour combler ce problème audio sur la célèbre chanson d'Alice au pays des merveilles, Disney France est simplement allé piocher dans la version d'origine afin de pouvoir commercialiser la nouvelle édition VHS du film en 1996. Mais alors, comment expliquer que, trois ans plus tard, Alice au pays des merveilles va soudain retrouver son second doublage intégral lors de sa sortie en DVD en 1998 ? La preuve en est que la version intégrale et intacte de 1974 était bel et bien accessible quelque part. Vont ainsi coexister les deux versions (intacte et altérée) en DVD et VHS jusqu'en 2011 avec la sortie du Blu-ray qui remit enfin tout le monde d'accord (finalement, ce sera la version 1974 complète et intacte)...

En résumé, aujourd'hui, ces éléments prouvent bien que la perte du support d'origine n'est plus un argument des plus valables et se doit d'être remis en cause, jusqu'à preuve du contraire. N'a-t-on d'ailleurs pas retrouvé le premier doublage de Blanche-Neige et les sept nains, ainsi que ceux de Fantasia et Bambi, alors que cela avait été réputé impossible pendant 54 ans ? Preuve que quand on veut, on peut ! C'est donc ici un pur problème de logistique. Devant les contraintes marketing, il est évident que ce serait gaspiller énormément du temps et de l'argent, sans compter que les autres problématiques, exposées ci-dessous, alourdiraient d'autant plus le problème.

Raison n°2 : La dégradation partielle ou irrémédiable du support d'origine


Syndrôme du vinaigre
Crédits : ©UNESCO

Jusqu'au début des années 1950, la plupart des films finalisés étaient stockés sur des pellicules au nitrate. Ces supports avaient contre eux deux défauts majeurs. Le premier est la dégradation inéluctable du support au fil du temps. Par réaction chimique, la bobine avait ainsi tendance à devenir informe, s'engluant sur elle-même jusqu'à devenir un bloc inexploitable. Pire, une fois en phase terminale de cette effroyable maladie, la bobine au nitrate devenait extrêmement dangereuse : elle pouvait s'enflammer sous certaines conditions, parfois même spontanément ! Au delà des années 1950, les pellicules au nitrates sont définitivement bannies du monde du cinéma pour d'excellentes raisons de sécurité. L'ancien support est alors remplacé par un support en acétate. Dans un premier temps, tout va aller pour le mieux. Mais durant les années 1980, le signal d'alarme est sonné par les professionnels de l'archivage. L'acétate se dégrade dans un processus chimique lui aussi irréversible, qui dégage en plus une forte odeur de vinaigre qui donnera son nom au syndrome. Il a donc depuis laissé sa place au support polyester plus résistant, avant de déboucher au format numérique actuel.

La non réutilisation d'un doublage antérieur abimé reste aujourd'hui l'hypothèse la plus plausible en ce qui concerne les doublages les plus anciens. Vous remarquerez d'ailleurs la troublante similitude entre chaque changement de support d'exploitation en salle et les deux périodes massives de redoublages Disney (années 1960 et 1980). La raison est toute simple  : contrairement à la branche américaine du groupe, qui a conservé beaucoup plus tôt qu'en France la plupart des éléments constituant un film de manière séparés, multipliant de fait d'autant les copies propres sur le long terme, la France ne conservait dans le pire des cas qu'une seule et unique version finalisée du film, ce qu'on appelle généralement la copie maître ou master d'où sont ensuite tirée les copies pour exploitation en salle. Or, si l'unique version conservée vient à disparaître, il n'existe de fait plus aucun moyen d'en tirer une copie propre pour une nouvelle exploitation ! Bref, dans les cas les plus extrêmes, il devient donc évident que la préservation et la réutilisation d'un premier doublage complet devient tout bonnement impossible. Si tant est, bien entendu, qu'on se contente de déplorer sans réel état d'âme cette perte sans aller chercher à savoir s'il n'existe pas une autre copie en bon état conservée ailleurs comme expliqué dans la première situation...

Raison n°3 : Le rajout ultérieur ou la correction tardive


Table de montage cinéma 16 mm "INTERCINÉ"
Crédits : ©F. Haladjian, cinematographie.info

Dans la situation de non possibilité de réutilisation d'un précédent doublage, le redoublage intégral s'impose naturellement, surtout lorsque la plus grande partie d'un long métrage a subit d'important dégât sur sa bande son française. Mais qu'en est-il d'une dégradation mineure d'une bande sonore ? Jusque ici, Disney France a procédé à un remplacement partiel sur les portions sonores abîmées. Alice au pays des merveilles est à ce jour l'unique cas où Disney France réutilisa une portion du doublage d'origine pour combler un manque sur une version redoublée. Dans toutes les autres situations, Disney France a effectué un redoublage partiel plus récent afin de combler la partie sonore abîmée ou absente. On trouve ainsi dans ce cas de figure le très confidentiel Mélodie du Sud, qui bénéficie d'un rajout moderne dans toutes les versions VHS commercialisée depuis 1990, mais aussi Le crapaud et le maître d'école où une petite séquence originellement non doublée (tirée de la version « mini-classiques » des moyens métrages) dans la version commercialisée en VHS et DVD au Canada fut finalement complétée pour sa sortie vidéo française. C'est également dans cette catégorie que l'on retrouve les retouches mineures de Pinocchio et Basil, détective privé, qui visaient pour le premier à être plus conforme avec la réelle identité d'un personnage (Jiminy Cricket était beaucoup plus connu sous ce nom que celui de Jiminy Grillon), et pour les deux à être plus politiquement corrects envers le jeune public ("Fermes ta grande gueule !" n'étant plus politiquement correct depuis 2003).

On retrouve aussi ce type de situation dans certains films beaucoup plus récents, telles que les versions longues de Pocahontas, une légende indienne, La belle et la bête ou Le Roi Lion, où dans ce cas, les comédiens originaux sont généralement conviés dans la mesure du possible pour ces nouvelles scènes (comme sur la version télévisée de L'apprentie sorcière qui nécessita quelques nouveaux dialogues raccords avec le nouveau montage d'une heure et demi durant les années 1980), sinon ils sont remplacés par des comédiens ayant des voix approchantes.

Raison n°4 : Le coût de la restauration


Numérisation et restauration
Crédits : ©familymovie.fr

Qui dit dégradation du support d'origine, dit opération de sauvetage de la dernière chance : la restauration. Tout bon restaurateur vous le dira, la meilleure des restaurations commence longtemps avant d'en avoir besoin par de la pédagogie et surtout par la prévention des risques dès la conception du support. Problème, la prise de conscience a parfois été très tardive dans certains cas, d'autant que de nombreux autres critères rentrent en jeu. Les techniques modernes de restauration sont relativement récentes au vu du jeune âge du 7e art qui n'est finalement que centenaire. A une certaine époque soit il n'existait pas de technique parfaitement fiable, soit celle-ci était trop compliquée, soit elle était trop coûteuse. Les spécialistes s'accordent d'ailleurs pour dire aujourd'hui que c'est la raison principale qui a poussé au premier redoublage de Blanche-Neige et les sept nains en 1962, particulièrement en raison de la mauvaise qualité d'enregistrement et d'interprétation des chansons du film dans la version de 1938.

Mais des trois problèmes évoqués, c'est surtout la question du coût qui est le principal frein à la réexploitation d'un ancien doublage. Car restauration minutieuse dit temps considérable à travailler dessus. Qui dit temps considérable dit aussi coût important. La restauration nécessite des outils spécifiques et un certain savoir faire. Il faut donc recourir à un laboratoire spécialisé, souvent extérieur à la compagnie, afin de traiter les problèmes. Or, il ne faut jamais perdre de vue que si Disney est une industrie de divertissement, elle n'est pas pour autant philanthrope. Dans la balance, Disney doit obligatoirement prendre en compte la rentabilité d'une restauration. Particulièrement pour Disney France qui n'a évidemment pas les mêmes moyens financiers que la branche américaine du groupe et qui est, de plus, liés aux décisions unilatéralement prises depuis Londres (Disney UK gère l'ensemble du territoire Européen, ce qui va peut-être changer à l'avenir puisque le pays a décidé de sortir de l'Union Européenne). Entre choisir une restauration longue mais coûteuse et un redoublage rapide mais d'excellente qualité, il n'y a pas d'argument raisonnable, économiquement parlant, de porter son choix sur la première solution. Quand est arrivé la révolution de la VHS, du Laser Disc puis du DVD et maintenant du Blu-ray, il est rapidement devenu évident financièrement parlant que passer son temps à restaurer successivement des doublages, afin de suivre les évolutions audio-numériques, étaient une hérésie. Au lieu de faire une restauration minutieuse durant plusieurs mois, il est plus facile de redoubler intégralement un film en seulement quelques jours. Disney France gagne alors sur toute la ligne. D'une part, la compagnie repart avec un support de grande qualité, conservé dans une qualité optimale pour l'avenir, et d'autre part, elle fait une substantielle économie. Pourquoi chercher à se compliquer la vie ?

Raison n°5 : Un montage différent


Star Wars, une saga en perpétuelle évolution
Crédits :©starwars-universe.com

Pour une raison ou une autre, certains films ont été diffusés en France dans une version tronquée ou bien dans un montage différent de leur conception d'origine. Disney a aussi été amené à quelquefois revoir complètement le contenu de ses longs métrages, bien des années après, en lui ajoutant par exemple de nouvelles scènes. On connaît aujourd'hui de nombreux films dans cette situation. Le plus ancien d'entre eux est évidemment Fantasia. Il est des plus représentatifs, car il a subit de nombreux montages au fil des décennies. On laissera de côté les péripéties de ces divers montages pour n'en conserver que trois. D'abord, prenons comme exemple la version réorchestrée par Irwin Kostal en 1982. On pourrait croire que la narration n'était que peu concernée par un redoublage, puisqu'elle n'est qu'une part infime du long métrage. Malheureusement, ce n'est pas vrai. L'une des scènes du film, mettant en scène la célèbre piste sonore, a connu des modifications notamment en raison de l'enregistrement entièrement numérique (le premier de l'histoire du cinéma !) et stéréophonique du film. Il était donc nécessaire de réenregistrer les dialogues de ce passage. Sauf que, par conformité vocale avec cette scène, c'est automatiquement tous les autres passages narratifs qui ont du subir le même traitement lorsque le film ressort en France en 1986. En 1990, Disney fait machine arrière toute, revenant à la version originale dirigée par Leopold Stokokovski. Cette fois, Disney France décide de conserver la narration de François Périer réalisée en 1986 pour les intermèdes, mixée cependant sur la bande son originale du film. Pour seule modification, un redoublage mineur est effectué uniquement sur la séquence finale de « L'apprenti sorcier » où Stokovski est joué par Georges Aubert et Mickey est remplacé par Jean-Paul Audrain, ceci afin de retrouver la voix officielle de Mickey de cette période.

En 2000, Disney USA termine sa grande opération d'envergure destinée à rétablir et restaurer Fantasia dans son format originel voulu par Walt Disney en 1940, en réintroduisant notamment les apparitions physiques de Deems Taylor. Pourtant, curieusement, cette version « longue » ne traverse pas l'Atlantique cette année là. La version DVD française reprenant de fait le même contenu qu'en 1990. Deux décennies plus tard, en 2010, la version longue finit par enfin arriver en Europe. Cette fois, aucune échappatoire n'est possible pour Disney France. Quel que soit les doublages utilisés depuis 1946, aucun d'entre eux ne peut être réutilisé sur le film. La raison est simple, aucune d'entre elles ne respectent ni la synchronisation labiale, ni l'attitude à l'écran de Deems Taylor. Légitimement, Disney France n'avait pas d'autres choix que de retoucher, une quatrième fois et espérons dernière, la version française du film !

Dans la même catégorie des problématiques liées aux redoublages de film proposés en version longue, L'apprentie sorcière et Peter et Elliott le Dragon sont de très bon exemples, le premier encore plus que le second, puisque trois versions sont parvenues jusqu'à nous. Les deux films sont sortis à une période charnière où le genre du film musical était en plein déclin. Ils ont donc connus plusieurs montages différents. Quand j'écris « montages différents » entendez aussi par là aussi « montage sonore différent », c'est à dire qu'en plus de nouvelles scènes, l'intégralité du film a également subit une profonde réorchestration pour sa bande originale.

Comparativement à la version longue, les versions télévisées et internationales des deux films ont subit d'innombrables coupes, rendant l'enchaînement des situations, des dialogues, mais aussi des scènes complètement différentes. Quand on sait qu'une banale conversation entre deux personnages peut être complètement chamboulées dans la version intégrale du film, il devient évident que la ré-exploitation, même partielle, du doublage originel devient complètement caduque. La version d'origine doit donc obligatoirement être mise au rebut, ne servant absolument plus à rien en l'état, au profit d'un redoublage intégral du long métrage.

Raison 6 : La difficile question du droit d'auteur français


Notions de droits d'auteur
Crédits :©sciences-po.fr

La notion de droit d'auteur est intellectuellement extrêmement complexe, autant dire qu'elle est même imbuvable pour nous autres néophites. Par exemple, saviez-vous que pour obtenir un visa d'exploitation en salle, tout film étranger doit obligatoirement être doublé dans la langue de Molière, qui plus est exclusivement sur le territoire français selon une loi de 1947 ? Je ne prétendrais d'ailleurs pas être à la pointe sur ces notions ! Toujours est-il qu'à partir de témoignages de personnes directement concernés par le sujet, il m'est assez facile d'en dessiner le concours et en vulgariser le concept. La notion la plus importante à retenir est celle-ci : en France, n'importe qui amené à créer quelque chose de nouveau est en droit d'en exiger la paternité et de faire fructifier son travail ! J'ai là simplifié à l'extrême, mais c'est bel et bien de cela qu'il s'agit. Dans le cadre du doublage, même si une oeuvre existe dans une langue étrangère, il est évident que pour pouvoir attribuer des voix françaises aux personnages, ou bien tout simplement pour effectuer un sous-titrage, il faut obligatoirement passer par une étape obligatoire : l'adaptation. Et qui dit adaptation, dit création d'un nouveau matériel original soumis aux droits d'auteurs français ! Hors, dans les faits, le droit d'auteur français est généralement en opposition frontale avec le droit d'auteur américain, qui considère qu'une oeuvre est la propriété pleine et entière de la société de production, et non de ses véritables auteurs. Ce qui crée une sorte de paradoxe autour du doublage des oeuvres, puisque la société américaine va considérer le doublage francophone comme sa propriété, tandis que côté français, on soutiendra mordicus que ce n'est pas vrai. Mais exposons les faits dans l'ordre.

D'un point de vue purement technique, avant de passer à l'adaptation en elle-même, le film original passe d'abord entre les mains d'un détecteur. Ce dernier est chargé de retranscrire les dialogues originaux et d'inscrire des signes à l'intention de l'adaptateur (changement de plan, interaction entre les personnages et tout autre information utile). Pour ce travail, ce détecteur ne touchera aucun droit d'auteur, puisqu'il sera simplement rémunéré sur le travail effectué, n'ayant rien réalisé de complètement inédit (il n'a retranscrit que quelque chose qui préexistait). Je l'écarte donc de la suite de mon exposé. Ce pré-travail passe entre les mains de l'adaptateur. Il s'agit de la personne qui est chargée de proposer une première traduction pour dégager l'idée générale du film. Le principal problème arrive juste après car l'adaptateur doit ensuite réussir à conserver, sans l'altérer, la trame générale du film en trouvant notamment des notions françaises équivalentes pour les dialogues originaux intraduisibles, le tout sous la contrainte de la synchronisation labiale dans le cadre du doublage ou bien des contraintes techniques et de durée dans le cadre des sous-titrages (qui sont rarement plus fidèles que le doublage contrairement à une idée répandue !). Pour ce travail entièrement inédit, l'adaptateur est donc considéré à juste titre comme un auteur à part entière, encore heureux !

Pourtant, ce qui parait simple peut s'avérer compliqué. Pour une raison ou une autre, la société à l'origine de la demande de l'adaptation peut être insatisfaite du contenu de cette adaptation. Elle va procéder dans son coin à des ajustements un peu plus à son goût. Autre possibilité, c'est au moment du doublage en lui-même que le directeur de plateau, voire même le comédien, sent qu'un dialogue ne colle absolument pas avec le contexte global de la scène enregistrée. A nouveau, des ajustements sont effectués. On se retrouve donc ici dans une situation bizarre, où l'on pense qu'il n'existe en réalité qu'un unique auteur (l'adaptateur), mais finalement ce sont jusqu'à quatre personnes différentes qui sont intervenus dans le processus conduisant au doublage final ! Qui va donc bien pouvoir toucher quoi dans cette pagaille juridique ? Et si on rajoute par dessus l'impossibilité de retrouver la paternité des doublages les plus anciens, dans le cadre d'une nouvelle parution vidéo par exemple, cela devient vite un énorme casse-tête !

Pour éviter ce problème inhérent aux droits d'auteurs, certaines sociétés n'hésitent pas à court-circuiter le processus juridique normal. Pour cela, la solution la plus simple est de procéder à une nouvelle adaptation en interne, à partir de laquelle découlera un nouveau doublage. Dans le cadre du remplacement d'un doublage préexistant, au passage totalement retiré de la vente au profit d'un nouveau, c'est tout bénéfice pour ces sociétés ! Elles n'ont plus besoin de partir à la pêche aux informations, ni de retrouver les anciens auteurs afin de négocier avec eux les conditions de rémunération pour la réutilisation de l'ancienne adaptation. C'est aussi l'occasion idéale de se débarrasser d'un ayant droit qui serait à leurs yeux devenu beaucoup trop gourmand ! Certes, cette nouvelle situation va énormément faciliter la vie de ses sociétés, mais cela ne va pas pour autant débarrasser l'épine du pied pour ce qui est des droits d'auteurs des adaptateurs de la nouvelle version du film. Les sociétés les plus opportunistes vont alors sortir de leur chapeau un contrat qui oblige ces auteurs à renoncer à leurs droits d'auteurs et les céder intégralement à leur commanditaire ! L'adaptateur se retrouve alors dans une situation des plus inconfortables (et juridiquement discutable) : soit il refuse catégoriquement de céder à ce chantage, au risque de ne plus jamais être rappelé pour une future nouvelle adaptation (sans compter qu'un redoublage ultérieur réduirait à néant sa rémunération), soit il accepte les conditions et il n'a plus qu'à pleurer dans son coin quand le film devient le plus gros succès de l'année sans aucune contrepartie pour lui, et refroidit par les exorbitants frais de justice s'il venait à tenter un procès dont l'issue est incertaine. C'est aussi pour cette raison que de nombreux films ressortent expurgés de leurs chansons en version française, au profit de la version originale comme Fievel au Far West ou Pocahontas II - A la découverte d'un monde nouveau, afin de ne pas à avoir à rétribuer les auteurs francophones de ces chansons. On revient donc toujours à une affaire d'argent.

Bref, derrière l'argument générique "d'actualisation des voix" se cache parfois en réalité des raisons moins honorables que les réglementations françaises permettent malheureusement. Je terminerai juste cette partie en précisant que c'est la SACEM qui est chargé en France de faire respecter les droits d'auteur pour l'adaptation des oeuvres étrangères. C'est également elle qui veille à ce que la nouvelle traduction soit complètement nouvelle (ce qui explique pourquoi les dialogues sont différents d'un doublage à l'autre) puisqu'un auteur ne peut réutiliser qu'un pourcentage infime d'une précédente traduction. Sinon il devrait lui-même céder une partie de ses droits à l'ancien adaptateur, ce qui est justement le but non recherché.

Raison 7 : Disney reprend le contrôle !


Michael Eisner et Jeffrey Katzenberg
Crédits :©Disney

En 1988 Michael Eisner, président directeur général - pas encore trop bouillonnant - de la Walt Disney Compagnie, effectue un séjour en France. Il constate avec stupeur que le doublage francophone de certaines productions Disney laisse quelquefois à désirer. Dès qu'il retourne au Etats-Unis, il fonde immédiatement Disney Character Voice International, dont les succursales sont réparties dans de nombreux pays, afin de garantir et contrôler d'un bout à l'autre l'adaptation et le doublage des longs métrages du groupe à travers le monde. Ceci afin d'en garantir une qualité irréprochable, façon label qualité Disney, quel que soit le pays. Cela ne se fait bien entendu pas sans concessions, puisque le droit français impose que tout long métrage pouvant recevoir un visa d'exploitation soit exclusivement doublé en France. Durant quelques années, Disney Character Voice International va donc continuer à confier les doublages de ses films à des sociétés encore sous contrat avec elle, notamment le Studio SIS de Oliver et Compagnie à La belle et la bête en France, ou encore Télétota pour Aladdin. La succursale va également en profiter pour s'ouvrir au marché québécois, lui offrant des doublages spécifiques dès la sortie de Qui veut la peau de Roger Rabbit !

Quand tous les contrats liant Disney à des sociétés de doublages francophones s'achèvent, le choix de Disney se porte sur un jeune studio fondé dès 1989 : la société Dubbing Brothers. Certains à l'époque y ont vu là une idée volontairement opportune, voire même anti-concurrentielle, puisque certains des membres de cette société de doublage avait eu l'occasion de travailler auparavant pour la branche française du groupe Disney. Ce n'est pas à moi de juger le bien fondé de cette allégation dont je n'ai eu que des témoignages indirects, toujours est-il qu'il faut admettre qu'un partenariat de confiance va immédiatement s'installer entre la succursale française de Disney Character Voice International et Dubbing Brothers, justement parce que ses employés connaissaient déjà les besoins et les attentes du groupe Disney en terme de doublage. Depuis lors, les deux groupes sont aujourd'hui des partenaires privilégiés depuis leur première véritable collaboration, à savoir Le Roi Lion en 1994.

La naissance de Disney Character Voice International, et indirectement son partenariat avec Dubbing Brother, va permettre à la compagnie américaine de reprendre la main sur tout son patrimoine francophone. Afin de garantir le contrôle ainsi que retrouver la mainmise sur ses doublages francophones, Disney Character Voice International va se lancer dans sa grande opération d'envergure : le redoublage d'innombrables films et courts métrages ! Cela permet au groupe de remettre à zéro les droits d'auteurs de ses oeuvres, évitant ainsi d'avoir à retrouver et rétribuer les anciens ayants droits qu'il laisse donc au bord de la route sans aucun regret. Cette campagne de redoublage, que l'on peut aujourd'hui considérer comme massive (pas moins de 12 films d'animation sont concernés sur la période par exemple), va s'étaler sur un peu plus d'une décennie pour enfin cesser définitivement approximativement autour l'année 2003, hors remontages et versions longues sortis depuis. Cela signifie donc que, désormais, Disney Character Voice International a le contrôle total sur l'ensemble de ses doublages francophones qui ne devraient donc, a priori, plus évoluer à l'avenir. Tout du moins jusqu'au jour prochain où, l'un après l'autre, leurs films finiront par tomber dans le domaine public et où tout un chacun pourra y aller de son propre doublage maison. Ce sera alors l'anarchie !

Raison 8 : La justice s'en mêle


Peggy Lee enregistrant une chanson pour "La belle et la clochard"
Crédits :©peggylee.com

En théorie, toutes les lois en rapport avec le droit d'auteur permettent d'assurer la paternité d'une réalisation, tout en bénéficiant d'une protection juridique et d'en retirer un bénéfice financier. C'est ce que dit la loi française, mais aussi la plupart des lois européennes. Dans la réalité, c'est beaucoup moins évident à prouver. Prenons un exemple tout simple. Un animateur est engagé pour dessiner un personnage qui figurera dans un prochain long métrage. De son côté, un comédien est également engagé pour lui prêter sa voix dans ce film. Jusqu'ici, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. On pense donc immédiatement que ces deux personnes vont à terme tirer profit des lois sur leur droit d'auteur : l'un a dessiné et animé un personnage, l'autre l'a fait parler. Grossière erreur ! Les deux artistes ont au préalable signé un contrat de travail, blindé de toutes parts, qui au final leur ordonnait de réaliser des tâches (l'animation, la parole) mais qu'au terme de ce contrat, ils perdaient tous droits sur leur propre travail au profit du studio qui les avaient engagés ! Là on est dans le giron du droit américain qui a été rédigé dans ce sens. En réalité, les deux personnes ont donné de leur temps et de leur énergie pour ne toucher qu'un unique salaire, celui pour lequel ils ont été engagé. De son côté, le studio va faire un profit substantiel, parfois faramineux, sans que jamais l'un d'entre eux ne puissent prétende un quelconque droit sur leur implication dans cet immense succès. Bref, un spoliage dans les règles façon Balthazar Picsou !! Pour les deux personnes concernés, on est donc plus proche ici de la prestation de service que du droit d'auteur. C'est en partie à cause de ce constat que Lucie Dolène avait intenté, et remporté, un procès contre Disney en 1994. Lorsqu'elle avait à l'époque signé et accepté de jouer dans le redoublage de Blanche-Neige et les sept nains en 1962, elle ne s'attendait pas à ce que le film soit un jour commercialisé à grande échelle, en VHS et en LaserDisc.

C'est à Peggy Lee que l'on doit la première procédure judiciaire frontale et médiathique contre Disney. En 1987, La belle et le clochard fut commercialisé pour la toute première fois en VHS. Le film devint cette année là le plus vendu sur le territoire américain, avec plus de 3,5 millions d'exemplaires écoulés sur une seule année. Étant à l'origine de trois des chansons du long métrage Peggy Lee, qui s'estimait dépouillée de son travail, remporta finalement de manière inattendu le bras de fer contre Disney (à la manière de David et sa minuscule fronde contre le géant Goliath) qui n'avait pas cru une seconde que la justice tranche en faveur de la chanteuse ! Elle récupéra ainsi pleinement ses droits d'auteurs pour ses propres compositions, certes réalisés pour le film de Disney, et ainsi prétendre à une compensation financière pour toute exploitation du film sur les décennies et les nouveaux supports à venir. Sur le même modèle, contre vents et marées, Lucie Dolène se lança donc seule en 1994, peu après la sortie VHS de Blanche-Neige et les sept nains, dans une procédure similaire contre le géant Disney. Contre tous les pronostics de l'époque, elle remporta elle-aussi le procès ! Malheureusement, tel un très mauvais joueur, si Disney dédommagea bien Lucie Dolène (où, cependant, l'intégralité de la somme fut engloutie par les frais de justice), le géant prépara en douce sa riposte qui fut rude et franche : Lucie Dolène fut bannie de leurs productions (elle n'a plus jamais été rappelé pour aucun film Disney), quand bien même son procès ne concernait exclusivement que Blanche-Neige et les sept nains, et sa voix expurgé de plusieurs productions existantes ! Ce dernier fut donc intégralement redoublé en 2001, se débarrassant du problème juridique d'un revers de la main, et Disney sacrifia au passage la bande sonore de Le livre de la jungle, mais surtout celle de La belle et la bête. Ceci conduisant d'ailleurs à une situation des plus ubuesques, puisque si Lucie Dolène est désormais absente de toutes les éditions vidéos (conformément à la décision de justice qui ne concernait que ce support), on continue encore aujourd'hui de l'entendre dans le rôle de Madame Samovar dans certaines bandes originales et, plus flagrant encore, à Disneyland Paris !

Ce procès de Lucie Dolène est bien entendu le plus emblématique d'entre tous, parce qu'il fut le plus médiatique dans le milieu du doublage  francophone. Mais il aura été à l'origine d'une prise de conscience importante dans la compagnie Disney qui a, naturellement, fait évoluer ses contrats auprès de toutes les personnes chargés de l'adaptation en français de leur film, que ce soit du traducteur au comédien, en passant par les directeurs de plateau, dans le but de parer à toutes futures nouvelles éventualités juridiques.

Raison 9 : L'erreur éditoriale involontaire


Erreur de modélisation : La natte d'Elsa lui traverse l'épaule
Crédits :©Disney

Depuis plusieurs années, c'est la filiale parisienne de Disney Character Voice International qui a la charge de la localisation, de l'adaptation et du doublage de ses films sur l'ensemble des territoires francophones, province québécoise comprise. Disney Character Voice International France a donc son mot à dire sur tout le processus, imposant même certains comédiens, voire des célébrités, aux directeurs de plateau de doublage pour jouer les personnages de premier plan dans les versions francophones. Le choix de ces célébrités est lié systématiquement à la notoriété de cette personnalité, histoire de pouvoir faire le buzz et promouvoir le plus possible un long métrage auprès de la presse grand public. Par exemple, si on retrouve Gérard Hernandez dans le rôle de Grand Schtroumpf dans les deux films produits par Sony, ce n'est pas parce qu'il jouait déjà ce rôle dans la série animée autrefois, mais parce qu'il était à cet instant redevenu très célèbre pour son rôle de Raymond dans Scènes de ménages diffusée sur M6 ! Si cela n'avait pas été le cas, il y a fort à parier qu'on l'aurait remplacé au pied levé par une autre star plus médiathique.

Dans le cas de Disney, Disney Character Voice International France a donc ainsi la charge de confier l'adaptation des films à des studios français et canadiens. Une situation aujourd'hui grandement facilité par l'ère du tout numérique, puisque les doublages peuvent transiter de façon sécurisés plus facilement ! C'est donc la filiale française qui détient et archive en interne les deux versions francophones de ses films puisqu'elle en a la responsabilité. Quelque fois, il peut pourtant parfois arriver quelques couacs au moment de la création d'une nouvelle édition vidéo. En France, le plus célèbre d'entre eux fut WALL•E qui a été commercialisé dans sa version québécoise lors de son premier pressage en 2009, obligeant la compagnie à mettre en place une procédure d'échange gratuite, puis à sortir une nouvelle version révisée une fois le stock initial écoulé. Par contre, le Québec est souvent beaucoup moins privilégié dans ce domaine. A de nombreuses reprises, le public québécois a été obligé de constater la perte de son doublage, au profit de la version française, sans aucune possibilité d'échange. C'est particulièrement flagrant pour Qui veut la peau de Roger Rabbit exclusivement vendu avec son doublage français alors qu'il continue d'être rediffusé dans sa version québécoise à la télévision, mais aussi pour Le livre de la jungle 2 dont l'erreur fut corrigée plusieurs années plus tard lors de la sortie Blu-ray, où le film a enfin retrouvé son doublage québécois d'origine.

Raison 10 : A l'insu de mon plein gré


Richard Virenque parodié par Les Guignols de l'info
Crédits :©Canal+

Le célèbre oxymore "à l'insu de mon plein gré" a été popularisé par les Guignols de l'info en 1998 et attribué à Richard Virenque, suite à quelques maladresses de langage lors de sa défense dans l'affaire de dopage qui le concernait. L'expression est depuis rentrée dans le langage courant pour signifier qu'une personne ou un groupe fait preuve de mensonge par omission, c'est à dire qu'il ment délibérément afin de dissimuler une vérité honteuse ne pouvant pas être officiellement reconnue. Ce principe s'applique quelquefois à Disney France qui, volontairement ou non, change la version d'un doublage de ses longs métrages et fait croire qu'il n'y a en réalité jamais eu la moindre erreur éditoriale. On trouve dans ce cas de figure plusieurs longs métrages qui sont aujourd'hui distribués dans leurs versions françaises originales, alors qu'il existait jusqu'à présent un doublage plus récent pour chacun d'eux: Les trois caballeros, Le livre de la jungle, Les aventures de Winnie l'ourson et dans une moindre mesure Peter et Elliott, le dragon, justifié dans ce cas par le retour à la version internationale du film en Blu-ray, en lieu et place de la version longue aujourd'hui disparue dans nos contrées (contrairement à L'apprentie sorcière où c'est la situation inverse).

Comment cela peut-il bien se produire ? Il faut ici chercher l'explication du côté du marché nord-américain, plus spécifiquement du Canada. Le Canada compte en effet une population au trois-quart anglophone. Disney édite donc simultanément ses oeuvres aux Etats-Unis et au Canada, que ce soit en salle ou en vidéo, sauf cas exceptionnels. Problème, le Canada comporte aussi un public plus minoritaire qui lui est soit bilingue, soit majoritaire francophone. Pour éviter que ce public francophone ne doive attendre et, surtout, pour éviter à Disney d'éditer une version spéciale spécifiquement pour le Québec, le choix d'une édition vidéo unique et commune est volontairement priviligiée. Dès lors que Disney USA a le contrôle total de ses éditions vidéos, il ne tient généralement pas compte des spécificités franco-françaises des doublages, préférant travailler à partir des sources audio qu'ils possèdent dans leurs proches archives. Lorsqu'une opération d'envergure de restauration est effectuée, et même si Disney privilégie généralement toujours la version anglaise à la version française, celle-ci n'en est pour autant pas négligée. Une restauration audio est donc effectuée à partir du doublage en leur possession, c'est ensuite celui-ci que l'on va retrouver dans nos éditions vidéo françaises. Pourquoi ? Tout simplement pour faire gagner du temps et économiser le coût d'une nouvelle restauration effectuée en France. Si le procédé en soit n'est pas du tout condamnable, au contraire même puisqu'il coule de source, il est beaucoup moins justifiable que pour tous les films concernés actuellement, Disney France a systématiquement camouflé le subterfuge en insérant un mauvais carton de doublage, reprenant le casting du doublage le plus récent, à la fin des films ! A moins qu'il ne s'agisse d'un moyen délibéré de contourner le droit d'auteurs... Bref, c'est forcément arrivé à l'insu de leur plein gré !

Raison 11 : Changement de dernière minute


Renouvellement complet de casting entre la mini-série (2002) et la série (2003) "Dinotopia"
Crédits :©ABC

Si Disney fut la première compagnie à promouvoir l'un de ses films en insistant fortement sur la présence dans la distribution d'un comédien déjà très célèbre (rappelez-vous Robin Williams pour Le génie dans Aladdin, qui conduira l'acteur à se brouiller de nombreuses années avec Disney), c'est véritablement Dreamworks Animation SKG qui a très largement généralisé le phénomène. Une stratégie imaginée à l'époque par Jeffrey Katzenberg afin de faire rayonner la jeune marque en touchant le maximum de personnes dans un laps de temps très court, dans le but de se démarquer de Disney. Cette stratégie s'est peu à peu imposée dans le reste du monde, jusqu'à devenir une norme dans le milieu du doublage. Depuis cette époque, deux écoles s'affrontent : ceux qui conspuent le choix hasardeux des comédiens désormais liés à vie aux personnages qu'ils découvrent en salle, et ceux qui saluent l'initiative de ne plus à avoir à supporter les quelques dizaines de comédiens récurrents d'un film à l'autre. Les deux idées se valent à mon avis, puisque cela dépend vraiment du cas par cas. On peut très bien tomber sur une excellente performance vocale alors qu'on n'y croyait pas (par exemple Olaf par Dany Boon) tout comme son contraire (par exemple Horton par... Dany Boon) !

Dans le cadre des redoublages partiels de dernière minute, on peut citer l'exemple de Le Roi Lion mais aussi celui de La Reine des neiges. En 1994, Bernard Tiphaine est convié pour effectuer le doublage intégrale de Scar. Même si la performance est bonne, Disney Character Voice International n'est finalement pas convaincu, et c'est donc Jean Piat qui reprend entièrement le rôle dans la version finale du film. Mais alors, comment avons-nous pu connaître l'existence d'un doublage précédent ? Par hasard, dans l'album québécois du film, où la chanson de Bernard Tiphaine fut intégralement reprise, créditée cependant par erreur sous le nom de Robert Treanard, mais également dans la cassette audio racontant l'histoire du film où Bernard Tiphaine est bien présent sur le rôle. Concernant Olaf, Disney France avait dans un premier temps confié le rôle chanté à Emmanuel Curtil, comme on peut l'entendre dans l'album français. C'est Dany Boon lui-même qui parvint finalement à convaincre le groupe américain de sa capacité à chanter et c'est donc lui que l'on entend désormais dans la version finale du film.

Si ces deux cas sont emblématiques, il existe parfois des exemples beaucoup plus atypiques dont aucune réelle explication ne peut être apportée. Par exemple, quand Babe, le cochon devenu berger sort en salle en 1995, c'est Barbara Delsol qui va prêter sa voix au petit porcelet. Quelques années plus tard, sans explication, sa voix (et uniquement la sienne) est éliminée de l'oeuvre au profit de Christophe Lemoine. On ignore d'ailleurs toujours aujourd'hui ce qui a poussé Universal à revoir sa copie pour ce film, d'autant que Barbara Delsol assure toujours la voix du personnage dans le second volet qui, lui, n'a pas été retouché ! Un vrai mystère.

Dans tous les cas de figure, ces changements ponctuels sont tellement minimes que peu de personnes s'en offusque. C'est d'autant plus vrai que dans certaines situations, comme pour Le Roi Lion et La Reine des neiges, le doublage originel n'a véritablement jamais dépassé le stade de production et n'a jamais été destiné à être diffusé publiquement. Pour autant, il arrive aussi parfois que c'est l'entièreté d'un doublage qui soit changé au tout dernier moment, uniquement par opportunité ! C'est notamment le cas de Chicken Run. La première grande oeuvre de Aardman Animation fut une première fois doublée par des comédiens français expérimentés tel que Patrick Poivey (Rocky), Patrick Préjean (M. Tweedy), Bernard Alane (Commandant Poulard) ou Dorothée Jemma (Ginger). C'est cette version qui fut proposée en salle au Québec. Au moment de la sortie française du film, décalée par rapport à la sortie américaine, Dreamworks Animation France (alors co-distributeur du film) imposa un redoublage intégral de l'oeuvre pour y faire figurer un casting jugé plus prestigieux, avec notamment pour duo vedette Gérard Depardieu (Rocky) et Valérie Lemercier (Ginger). Depuis, la plus grande confusion existe autour de ces deux doublages puisque le film y est alternativement diffusé dans l'une ou l'autre version selon le matériel sur lequel il est exploité !

Raison 12 : Continuité vocale


"Cela ne te coûtera... que ta voix" - La petite sirène (1989)
Crédits : ©Disney

A l'exception de très rares cas très particuliers, la continuité vocale n'explique que partiellement pourquoi un redoublage est effectué. Dans la majorité des cas, la question de continuité vocale ne touche que le public québécois, qui se voit imposer le doublage français, au lieu du sien. Par exemple, Le roi lion 2 - La fierté de Simba n'est aujourd'hui plus disponible en version québécoise, pour la simple et bonne raison que les deux autres films de la saga, tout comme Timon et Pumba et la nouvelle série La garde du roi lion, ne font intervenir que des comédiens français. Le raisonnement est logique, même si l'escamotage de la version québécoise est regrettable. Bref, dans cette situation, on ne peut donc pas vraiment parler de raison qui pousse au redoublage. Malgré tout, on compte quand même quelques petits exemples !

Pour premier exemple, il y a La petite sirène 2 - Retour à l'océan. En 2006, Disney France commercialisa à nouveau le premier film dans son doublage français d'origine. A cette occasion, le groupe décida de rappeler Henri Salvador, alors sous les feux des projecteurs puisque recevant de nombreux prix courronnant sa carrière, afin qu'il reprennent le rôle de Sébastien comme il le faisait en 1990, en lieu et place de Christophe Peyroux qui lui avait succédé dans le premier doublage effectué en 2000 ! Bien entendu, on ne pourra absolument pas dire que la continuité vocale entre le premier et le second film soit totale, dans la mesure où le second film faisait appel aux comédiens ayant participé au redoublage du premier film en 1998 qui n'est, lui, plus commercialisé (vous suivez ?). Ce redoublage partiel relevait donc plus d'un coup publicitaire qu'autre chose.

Pour second exemple, évoquons La belle et la bête. Quand Lucie Dolène gagna son procès en 1994, elle fut rayée des personnes à contacter pour les futurs doublages de films. Lily Baron la remplace au pied levé en 1998 dans La belle et la bête 2 - Un Noël enchanté, dans elle assure une performance vocale des plus honorables. Quatre années plus tard, elle est donc naturellement rappelée pour remplacer Lucie Dolène pour le redoublage partiel du film, dont elle va assurer parfaitement les dialogues. Ce dont ne pourra clairement pas se vanter Christiane Legrand qui, malgré toute sa bonne volonté, massacrera malheureusement toutes les chansons emblématiques du film.

Raison 13 : Le plébiscite populaire


Applaudimètre aperçu dans "Les Simpson"
Crédits :©FOX

Le plébiscite populaire d'un doublage antérieur à son redoublage n'a à ce jour concerné qu'un seul et unique film Disney, c'est La petite sirène. En 1990, le long métrage fait un véritable triomphe au box office. Un an plus tard, il fait partie de la première vague des sorties VHS où il triomphe à nouveau à la vente, tout comme la bande originale en cassette audio et CD. En 1998 pourtant, c'est le drame. Disney USA veut imposer et populariser son tout nouveau système audio-numérique, dérivé du format DTS qu'il utilisait sous contrat jusque là. Quoi de mieux pour cela que de ressortir le film qui avait le plus fait parler de lui à l'époque ? Naturellement, le nouveau système de mixage audio va également partir en tournée dans le reste du monde. Disney va alors commettre un sacrilège : c'est la maison mère elle-même qui va imposer le redoublage de La petite sirène dans tous les pays Européens ! L'Allemagne, l'Espagne, le Portugal et même la France sont directement impactés par ce redoublage.

La consternation touche d'abord le public qui se rend en salle (trompé par une bande annonce qui reprenait par ailleurs le doublage d'origine), puis par les critiques cinémas. Loin de s'éteindre, la grogne gagne ensuite les magazines vidéos qui testent la VHS, en 1998, puis le DVD en 2000. La presse grand public n'y échappe pas non plus. Elle s'empare à son tour du phénomène, grâce au balbutiement d'Internet, où la fronde a indéniablement gagné de l'ampleur quand le grand public a lui-aussi crié à l'hérésie ! Et le torchon a brûlé près d'une décennie avant que Disney revienne finalement en arrière. On ignore encore aujourd'hui les raisons exactes qui on poussé Disney à effectuer ce mémorable, et à ce jour toujours unique, rétropédalage. Était-ce parce que Disney Character Voice International possédait déjà les droits de la version précédente (la filiale étant née en 1988) ? L'opportunité de jouer sur le regain de popularité de Henri Salvador en 2006 ? Ou bien était-ce une réelle volonté de satisfaire son public ? Car, après tout, en terme de popularité le redoublage de La belle et la bête a fait jaser autant, si ce n'est plus, que celui de La petite sirène, sans que jamais aucun retour en arrière n'ai jamais eu lieu pour lui !

Raison 14 : Le réalisateur impose, le distributeur dispose


E.T. et Steven Spielberg
Crédits :©Universal

Je ne connais à ce jour qu'un unique cas où un réalisateur étranger a demandé à la succursale française de faire machine arrière toute : Steven Spielberg. En 2002, suivant la lancée de Georges Lucas et ses multiples révisions de Star Wars, Steven Spielberg souhaite offrir aux nouveaux spectateurs son célèbre E.T., L'extra-terrestre réactualisé. Il décide pour les 20 ans du film de rectifier certains détails qui le chagrinait un peu (la présence de fusils lors de la course poursuite finale par exemple), de réintroduire deux scènes autrefois coupées au montage, de refaire en numérique la plupart des trucages du film et enfin de moderniser la bande son du film. Toutes ces modifications et altération par rapport à la version d'origine impose donc à Universal le recours à un redoublage, au mieux pour garantir une continuité vocale par rapport aux nouvelles scènes et aux nouveaux dialogues qui furent changés par rapport à la version de 1982, au pire pour ne pas à avoir à restaurer la version française originale.

La critique va être très acerbe envers ce redoublage pour la qualité d'interprétation qui laisse à désirer (notamment le nom de E.T. qui est cette fois prononcé à l'anglaise I.T.I.) et, surtout, pour l'édulcoration "plus politiquement correcte" des dialogues qui aura fait rire jaune les spectateurs. Il n'empêche, Universal France fait la sourde oreille sur ces critiques et n'en tient pas compte. C'est sans compter sur la vague presque haineuse du public américain envers Steven Spielberg qui se voit très vite contraint d'effectuer publiquement son mea culpa. Il déclare donc que son film n'aurait jamais du être modifié et ordonne manu militari le retour immédiat à la version originale. C'est donc, non sans un certain plaisir, que nous autres français pouvons aujourd'hui à nouveau profiter du long métrage dans les mêmes conditions, et le même doublage, que lors de sa sortie originale !

Conclusion

Sans jamais chercher à polémiquer, j'espère sincèrement que ce dossier, dont il s'agit de la troisième révision depuis ma première longue réponse que j'avais déposée il y a huit ans sur le forum dvdclassic.com, vous aura aidé à comprendre les nombreuses problématiques soulevées par les questions de doublages et de redoublages francophones. Au delà du pour et du contre, il faut quand même remercier Disney Character Voice International qui s'efforce toujours de rendre une copie d'excellente qualité, même si quelques couacs surviennent, ainsi que toutes les personnes impliquées dans ce long processus, que ce soit l'adaptateur, le comédien, le directeur de plateau et tous les autres impliqués de près ou de loin par cette question. On saluera aussi les laissés pour comptes, c'est à dire ces nombreuses personnes qui on donné de leur temps et de leur talent pour les doublages antérieurs et qui ne sont plus du tout considéré par quiconque aujourd'hui. Malgré tout, la question du doublage et du redoublage restera un dossier brûlant qui ne se refermera jamais et pour lequel jamais aucun anglophone n'aura pu participer ou même connaître de sa vie. Il n'empêche, c'est aussi ça la richesse des doublages francophones !

Olivier J.H. Kosinski

Publication originale : 06 avril 2010

Dernière actualisation : 07 juillet 2016