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Fantasia - Péripéties des divers montages

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Walt Disney a toujours souhaité être précurseur et en avance sur son temps. C'est avec le soutien de Leopold Stokowski qu'il allait tenter d'offrir au public son projet le plus ambitieux jamais imaginé : Fantasia. Sans aucun doute la plus ancienne symphonie visuelle de tous les temps ! Mais la hauteur du projet est à l'image de ses innombrables déboires. Entre le système innovant mais extrêmement coûteux du Fantasound qui freine son exploitation en salle, les arrangements du distributeur RKO Radio Pictures, et surtout la menace imminente d'une entrée en guerre des États-Unis, les problèmes ont raison de Fantasia qui essuie un immense échec en salle. Presse spécialisée et spectateurs boudent en effet le chef d'oeuvre artistique, dont le concept est bien trop compliqué à comprendre, tandis que la carrière internationale du film est impossible à mettre en place. Il faudra des décennies pour que le film réussisse enfin à se rentabiliser grâce à de nombreuses ressorties en salle. Et c'est à ces diverses occasions que Fantasia vit ses innombrables péripéties.

Pour sa sortie initiale en novembre 1940, la durée de Fantasia dépasse les 2h04, à laquelle s'ajoute les 15 minutes d'entracte. Cette version reprenant le montage d'origine voulu par Walt Disney ne fut diffusée que dans 12 uniques salles (sur les 16 équipées en Fantasound) jusqu'en janvier 1941. Cette version disparaîtra ensuite à jamais des yeux du public, aujourd'hui encore.

En janvier 1942, Fantasia revient dans les salles de cinéma américaine. Cette fois, la distribution est faite à plus grande échelle, mais RKO Radio Pictures procède à un remaniement en profondeur du film. D'abord, la bande son originellement quadriphonique est transformée en une simple version monophonique. Ensuite, et plus grave, RKO Radio Pictures n'hésite pas à remanier drastiquement le film en éliminant toutes les interventions de Deems Taylor (visuelles comme orales), et à retirer sans aucune explication le segment complet de la Toccata et Fugue en Ré Mineur. Le film ne dure désormais plus que 1h21 ! Malgré - ou à cause de - ces coupes franches, le film fait un flop retentissant. Fantasia disparaît donc des écrans, même s'il tente de revenir en 1944 et 1946 sans plus de succès. On notera cependant au passage que cette dernière sortie de 1946 réintégra, côté américain, la Toccata et Fugue en Ré Mineur, supprimée sans aucune raison auparavant, et que les interventions de Deems Taylor sont de retour mais, hormis pour la toute première qui est laissée intacte, dans une version écourtée et sans la présence physique du présentateur, remplacée par des plans de l'orchestre en train de s'accorder (parfois inédits, mais ce sont en réalité la plupart du temps les mêmes répétés plusieurs fois). Ce montage, que Walt Disney sera bien obligé d'accepter tout en refusant d'y participer personnellement, sera par la suite utilisé pour chaque ressortie du film jusqu'en 2000, y compris pour les versions en langues étrangères à une différence près concernant l’ouverture du film où la silhouette de Deems Taylor est cette fois totalement effacée, la narration introductive (au texte écourté) accompagnant les images de l’orchestre s’installant. Conséquence sans doute du manque de notoriété de Taylor à l’international.

En 1953, Fantasia fait son retour en salle. Alors que les progrès technologiques ont beaucoup évolué au cours de ces treize années, c'est malheureusement toujours la version de 1946 qui est proposée aux spectateurs, avec toutefois une bande sonore cette fois proposée pour la première fois en stéréophonique (basée sur le remixage du système Fantasound). Plus conforme à l'air du temps, Fantasia est également recadré en SuperScope pour être plus adapté à la mode du 16/9 naissant dans les salles de cinéma. Le principe de SuperScope nécessitant un objectif d'anamorphose pour la projection, qui tronquait en partie le haut et le bas de l'image.

Le film ressort ensuite plusieurs nouvelles fois en salle, en 1956 et 1963. Mais ces ressorties sont accompagnées d'une polémique qui prend de l'ampleur : le film donne une image négative des afro-américains. Cela conduit la compagnie Disney à effectuer des coupes franches et proposer une version censurée en 1969. La version d'origine laissait en effet voir trois petites centaurettes noires (souvent appellées toutes trois Sunflower, bien qu'il semblerait plutôt que l'une d'entre elles, celle servant Bacchus, s'appelle Otika), dont l'apparence et le rôle de servantes qu'elles occupent ne rappellent que trop les stéréotypes raciaux de l'époque. Pour étouffer la polémique, ces personnages sont ainsi éliminés du segment La symphonie pastorale sans aucune forme de procès. Les scènes incriminées sont purement et simplement supprimées et la compagnie évitera soigneusement de communiquer à leur sujet pendant des années. Malheureusement, ces coupes drastiques ont une conséquence fâcheuse sur la partition de Leopold Stokowski, puisqu'on entend nettement les faux raccords musicaux que cela cause. Cela n'empêche toutefois pas Fantasia de ressortir ainsi en 1977.

En 1982, décision est prise de refaire entièrement la bande sonore de Fantasia. Irwin Kostal est ainsi chargé de réenregistrer complètement la partition de Leopold Stokowski. Il ne respecte toutefois pas totalement la partition, se permettant ici et là des touches personnelles, et offrant une sonorité des plus modernes. Il est également obligé d'adapter la partition afin de faire disparaître les coupes voulues sur la version de 1969. Cette nouvelle bande son, qui coûta à la compagnie Disney plus cher à elle-seule que la réalisation de Fantasia en 1941, sera d'ailleurs le premier enregistrement intégralement numérique d'un film au monde ! Tandis que Irwin Kostal s'affairait à réinventer la musique de Fantasia, la compagnie Disney en change également un autre aspect puisque c'est Hugh Douglas qui aurait assuré la narration, et non Deems Taylor qui est donc totalement absent, et son texte est encore une fois raccourci et remanié. Le montage des plans de l'orchestre étant par ailleurs identique à la version de 1946, dans sa version pour les langues étrangères, donc sans aucun narrateur présent à l’écran même pour l’ouverture du film.

A sa sortie en salle, la version d'Irwin Kostal de Fantasia est immédiatement conspuée. Jugeant ce réenregistrement totalement inapproprié et peu respectueux du travail de Leopold Stokowski, la grogne monte parmi les fans de Fantasia. Cela n'empêche toutefois pas à Disney de ressortir le film ainsi en 1985 avec encore une fois la narration réenregistrée, cette fois-ci par Tim Matheson.

En 1990, pour son 50e anniversaire, la compagnie Disney fait machine arrière toute. Elle investit à nouveau de nombreux fonds afin de restaurer comme il se doit Fantasia. Basée sur la version de 1969, la restauration du film établit quelques retouches plus ou moins subtiles par montage sonore sur la partition de Leopold Stokowski afin que disparaissent les coupes trop franches d'autrefois. Concernant les segments censurés, Disney fait des choix artistiques discutables : la plupart des scènes sont recadrées et zoomées (entraînant fatalement une perte de qualité d'image) de façon à faire disparaître les centaurettes noires. Si cela permet de réintégrer une bonne partie des images jadis coupées, certaines manquent toujours à l'appel (notamment un gros plan sur une « Sunflower » mettant des fleurs dans la queue de sa maîtresse, scène qui ne pourra jamais être réintégrée à aucune version et reste exclusive à la version originale).

Afin de compenser cela et d'empiéter le moins possible sur le synchronisme avec la musique, deux plans du film sont réutilisés (les monteurs inversant l'image, comme dans un miroir, du second afin que cela se remarque le moins possible) pour combler les trous. Pour l'anecdote, on notera tout de même que les pattes de Otika restent visibles sur quelques images au début du plan où elle déroule le tapis ! Cette nouvelle restauration ajoute également un générique de fin, totalement absent jusque-là, en utilisant le plan de fermeture du rideau qui était présent au moment de l'entracte dans la version d'origine. C'est cette version qui sera ensuite commercialisée en 1990 dans le monde, avec là encore une ouverture sans narrateur physique (la fin de celle-ci différant légèrement sur le plan du montage). Ce sera d'ailleurs la dernière fois que l'on entendra la voix de Deems Taylor dans une édition commerciale (VHS et LaserDisc), si l'on excepte Fantasia 2000 où son introduction fut reprise.

Les années continuent de défiler, et au vu du progrès du numérique, Fantasia connaît encore des bouleversements. A l'approche de son 60e anniversaire en 2000, la compagnie Disney remet la main sur tout le matériel d'origine et se lance dans un vaste projet : proposer enfin au public pas moins que la version ultime de Fantasia, aussi proche que possible de la version voulue par Walt Disney en 1940 ! La compagnie Disney reprend donc comme base de travail la version retouchée en 1990, et y réintègre toutes les séquences visuelles de Deems Taylor, les prises de vue d'origine sur l'orchestre, ainsi que l'entracte, supprimant également le générique de fin de la version de 1990. Malheureusement, si le groupe Disney a bien retrouvé l'intégralité des séquences visuelles de Deems Taylor, très bien conservées, une grande partie des enregistrements de ses dialogues était fortement endommagée ou manquante, rendant leur réutilisation impossible. En 2000, Deems Taylor est donc pour la troisième et dernière fois redoublé par Corey Burton, qui s'efforcera d'imiter, sans jamais vraiment y arriver, la voix du présentateur d'origine, tandis que les bruitages d’accompagnement (notamment les sons de l’orchestre) sont totalement refaits.

C'est également à cette occasion que plusieurs segments censurés sont retravaillés. Ainsi, une scène est désormais proposée complète (là où la version de 1990 n'en avait laissé que quelques secondes) : celle où une centaure rose déambule lentement, la « Sunflower » qui tenait son long collier de fleurs a cette fois été éliminée (ou presque !) grâce à un effet de zoom avant/arrière dont le rendu est hélas peu esthétique et fait surtout ressortir tout le grain du film ! On note toutefois que l'astuce des plans réutilisés pour compenser la perte d'un gros plan est toujours présente, dans une moindre mesure que précédemment. Un plan où l'on voit plusieurs centaures femelles de dos est aussi remis intégralement cette fois-ci (la précédente restauration lui ayant coupé quelques images), bien que toujours zoomé. Enfin, les deux plans consécutifs où Otika déroulait un tapis à l'arrivée de Bacchus puis que ce dernier tombait de son siège sont réintégrés dans leur cadrage d'origine, la centaurette ayant été effacé numériquement (le tapis en question se déroule donc désormais tout seul !).

L'illusion marche plutôt bien même si une étude image par image révèle les failles de cette censure : l'ombre d'Otika réapparaît comme par magie devant le siège de Bacchus le temps de quelques images et les techniques employées pour l'effacer du second plan sont trop visibles (la façon dont certains éléments ont dû être redessinés est peu subtile). Tous ces changements permettent malgré tout à la version de 2000 de retrouver pour la première fois depuis 1969 la partition de Leopold Stokowski intacte. Cette version sera proposée dans le DVD américain (Zone 1 donc, non compatible avec les lecteurs zonés de l'Europe) commercialisé cette année-là, sans doublage français mais toutefois sous-titrée dans la langue de Molière. On notera que les censures de 1969 sont brièvement évoquées dans une section d'un DVD bonus vendu avec un coffret collector, signal que la compagnie commence lentement mais sûrement à assumer son passé. Un dessin de travail représentant une de ces fameuses centaurettes noires s’est également glissé discrètement dans les galeries graphiques de ce même DVD.

Pour une raison inexplicable, notons que cette nouvelle version ne traversa pas les frontières en 2000, puisque c'est une nouvelle version qui fut commercialisée en Europe en DVD. Les segments censurés nettoyés numériquement y sont absents, tout comme les interventions visuelles de Deems Taylor. Fantasia est ainsi proposé dans le même montage (et la même restauration) qu'en 1990, à ceci près que c'est désormais la voix de Corey Burton, et non celle de Deems Taylor, que l'on entend sur la piste anglaise et l’ouverture du film reprend bien la version écourtée sans la présence physique du narrateur. La reprise de ce montage est probablement un choix artistique par rapport aux doublages internationaux, afin que ceux-ci puissent coexister sur la même piste vidéo que la version en langue anglaise. Le public européen n'aura également pas le droit à plusieurs bonus contenus dans les DVD américains (dont celui mentionnant les censures, le dessin de travail reste en revanche présent).

La carrière de Fantasia aurait pu s'arrêter là, mais ce ne fut finalement pas le cas. Sous l'impulsion de John Lasseter cette fois, Fantasia est à nouveau intégralement restauré en 2010. Le montage y est quasi-identique à la version de 2000, le plan de la centaurette rose zoomé bénéficiant cette fois d'une retouche numérique faisant disparaître « Sunflower » et permettant à la scène de retrouver son cadrage d'origine. Deux autres plans gagnent aussi un recadrage moins prononcé qu’auparavant grâce à la même technique d’effacement par ordinateur du personnage. On note aussi que c'est cette fois deux plans d'une centaurette verte qui sont doublés, toujours afin de compenser la coupe d'un gros plan définitivement irrécupérable. Les deux plans avec Otika sont également légèrement retravaillés avec une élimination numérique plus subtile (l'ombre du personnage n'apparaît plus par magie par exemple), quoi que toujours imparfaite si on examine image par image (notamment la coupe de Bacchus). Il convient également de signaler que le nouveau commentaire audio enregistré par Brian Sibley mentionne à son tour brièvement l'existence de ces censures. Cette nouvelle version inclut aussi d'autres changements par rapport aux versions précédentes, et sont aussi drastiques qu'auparavant car, non seulement le Fantasound est à nouveau remixé pour les besoins du Blu-Ray de 2010, mais surtout le négatif original en nitrate du film est entièrement numérisé et nettoyé digitalement, rendant désormais le film aussi propre que s'il avait été tourné récemment. L'équipe de restauration a aussi travaillé longuement pour restituer les couleurs d'origines du film. Le résultat est surprenant, parfois même déstabilisant et, comme la plupart des restaurations modernes du studio, sujette à controverses. Mais il faut relativiser : depuis celle de 1940, c'est aujourd'hui la version la plus complète et la plus proche de la vision de Walt Disney qui existe de Fantasia. En attendant la prochaine version !

Nota Bene : Cette page n'est consacrée qu'aux différents montages qu'a connu Fantasia durant sa longue carrière et n'analyse donc pas le scénario ou la qualité artistique de l'oeuvre. Pour cela, il vous suffit de lire la fiche dédiée au film lui-même.

Nicolas N. - 27 janvier 2023