Fait plutôt rare, Les incognitos et Espions incognito sortent le même jour de Noël 2019 en France et au Québec. En dehors de leurs titres respectifs, chacun bénéficie d'un doublage francophone spécifique. Ce film tire son inspiration du court métrage Mission : Pigeon réalisé en 2009 par Lucas Martell. A l'heure actuelle, il s'agit de l'ultime film d'animation estampillé 20th Century Fox puisque Disney a décidé, le 18 janvier 2019, de le renommer en 20th Century Studios.
Le super espion Lance Sterling et le scientifique Walter Beckett sont presque exactement aux opposés. Mais ce qu'il manque à Walter dans ses relations interpersonnelles, il le comble dans des inventions astucieuses créant ainsi d'incroyables gadgets que Lance utilise lors de ses missions. Mais lorsque les événements prennent une tournure inattendue, Walter et Lance doivent soudainement compter l'un sur l'autre d'une manière totalement nouvelle. Et si ce duo hors du commun ne peut pas apprendre à travailler en équipe, le monde entier est en péril...
Les comédies d'espionnage jouent généralement les funambules sur une minuscule corde tirée entre deux bâtiments éloignés de plusieurs centaines de mètres. Pour que ce genre de films réussisse à être bon, il faut obligatoirement qu'il parvienne à un subtil jeu d'équilibriste. Il doit par exemple tout à la fois être compréhensible pour le néophyte, avoir un scénario suffisamment original pour se démarquer de la concurrence et, aussi paradoxal que cela puisse paraître, il faut que ses auteurs aient une maîtrise très riche de la culture cinématographique, principalement l'espionnage, mais pas que. En cela, la comédie d'espionnage ne prend sa véritable saveur que lorsque spectateurs et auteurs sont de connivences, les premiers captants de manière subliminale l'ensemble des références glissées par les seconds. Il s'agit donc, la plupart du temps, d'un genre assez fermé qui ne peut réellement s'apprécier que si l'on maîtrise un tant soit peu le sujet. La plupart des grands studios d'animation américains se sont tous essayés à cet exercice, au moins une fois, que ce soit Dreamworks Animation avec Les pingouins de Madagascar, Pixar avec Cars 2, 10th ave Productions avec Nelly et Simon - Mission Yéti, Aardman avec Souris City, voire Disney aussi avec Zootopie d'une certaine manière. On compte même Street Light Animation qui s'y est essayé pour Le cygne et la Princesse - En mission secrète !, l'opus le moins pire de l'atroce saga en 3D. En France, on a même une série animée entièrement consacrée au sujet, en l'occurrence les célèbres Totally Spies ! Mais ce coup-ci, c'est Blue Sky Studios qui s'y colle avec Les incognitos.
Avant même de découvrir le film en salles, Les incognitos baigne déjà dans les tréfonds des sombres mystères avec pour cause directe le rachat de feu 20th Century Fox par le géant du divertissement Disney. Sa parution, longtemps demeurée incertaine puisqu'elle fut repoussée de près d'un an, laissait penser au pire. Les deux dernières productions de Blue Sky Studios ont cela en commun d'avoir été quasiment éclipsées du paysage par l'énorme marché commercial entre les deux studios américains. Ferdinand n'était pas encore en salle que Disney faisait son offre de rachat astronomique, deux ans plus tard, Les incognitos jouait son dernier va-tout en espérant qu'elle ne serait pas la dernière production d'un studio d'animation en passe d'être obligatoirement sabordé, car redondant pour Disney. On a énormément de mal à comprendre aussi pourquoi Les incognitos a été repoussé aux vacances de Noël, particulièrement quelques semaines après le rouleur compresseur La reine des neiges II, comme si Disney avait voulu l'empêcher volontairement de rayonner un minimum, justifiant d'autant plus avoir acheté un studio d'animation en trop. J'avais d'ailleurs constaté avec stupeur que le film avait été très prématurément déprogrammé de nombreuses salles de province moins de deux semaines après sa sortie, ayant eu beaucoup de mal à pouvoir enfin le trouver avec un choix d'horaires famélique. C'est vraiment regrettable dans la mesure où Les incognitos est un film qui ne démérite pas, puisqu'il propose réellement une aventure survitaminée.
Dans leurs déclinaisons animées, les comédies d'espionnage partagent toutes à peu près les mêmes sempiternels enjeux, à peine remanié selon les protagonistes qui y prennent part. Les incognitos suit complètement le mouvement en reprenant à sa sauce le duo improbable du super agent parfait en tout point accompagné d'un acolyte ringard qui cache bien son jeu. Un duo des plus improbables que l'on nous sert régulièrement depuis au moins quinze années, principalement depuis Die Hard 4 - Retour en enfer en 2007 qui avait, plus ou moins, relancé la mode de ce genre de "couple" (qui est loin d'être une nouveauté et remonte à plus loin que ça) avec le super flic d'un côté et la hackeur ringard et peureux de l'autre. Autre caractéristique classique de la comédie d'espionnage, le film doit jouer dans la démesure, disons même dans la surenchère histoire de dramatiser encore plus l'intrigue, mais sans pour autant tomber dans la caricature, ceci afin de réussir à être suffisamment crédible à l'écran mais surtout très drôle à voir. Enfin, la comédie d'espionnage se doit, pour bien montrer que le grand méchant menace la planète entière, de faire voyager ses personnages à travers le monde. Sur l'ensemble de ces points, Les incognitos fait évidemment un parfait sans faute. Toutefois, le long métrage de Blue Sky Studios s'aventure aussi en terrain miné en faisant s'interroger les protagonistes en remettant en cause le camp des gentils. Certes, Les incognitos ne fait qu'effleurer la surface (Les gentils sont-ils finalement aussi gentils qu'ils prétendent l'être ?), mais peu de comédies d'espionnage se sont aventurées dans cette voie, ce qui permet de le démarquer un petit peu de la concurrence.
L'un des points forts de Les incognitos tient bien entendu dans son faux twist follement amusant, à savoir métamorphoser Lance Sterling en un succulent pigeon ! Une innovation succulente par rapport au court métrage Mission : Pigeon réalisé par Lucas Martell en 2009 et dont Blue Sky Studios s'est appuyé pour construire son film. Comme Walter Beckett se borne à le répéter inlassablement tout au long du film, ce "costume" improbable permet de rendre l'espion totalement invisible à la vue de tout le monde. Quoi de plus banal qu'un pigeon après tout ? On en croise souvent, un peu partout, sans jamais véritablement leur prêter attention. Tellement banals qu'on se dit dans un premier temps qu'un pigeon héros d'un film d'animation, ce semble être une innovation. Et pourtant, on en compte des dizaines, dans de nombreux films, qui viennent jouer les vedettes. Souvenons-nous par exemple de la mafia "pigeonaise" rencontrée par Volt. On n'oublie pas non plus Vaillant, ni les centaines de pigeons qui prennent par à l'affrontement final autour de Notre-Dame, ni le messager vocal dans Cro-Man, et il y en a même un qui tente de picorer Monsieur Patate dans Toy Story 3. Les pigeons animés sont partout ! Souvent au deuxième plan, voire en arrière plan, mais généralement toujours dans un rôle comique ou en vrai élément perturbateur. Là où cela s'avère plus cocasse dans Les incognitos, c'est évidemment parce que Lance Sterling doit à la fois lutter contre sa nouvelle nature, ses nouveaux comparses envahissant et le génie tragi-comique de Walter Beckett.
Une chose est sûre, Les incognitos joue à fond dans le registre du ridicule et l'assume totalement d'ailleurs. Cela contrebalance assez bien le point de vue de l'adversaire, Killian, qui prend à coeur de mener à bien son sombre projet de vengeance. D'une certaine manière, subtilement, Blue Sky Studios dresse un portrait relativement acide de Lance Sterling, un playboy qui plastronne continuellement, obnubilé par l'amour que lui porte ses confrères, qui ne prend pas un seul instant ses missions au sérieux, remet en cause toute forme d'autorité et qui ne tient absolument pas compte des retombées de ses actions. Il est d'ailleurs amusant de constater que Walter Beckett est précisément son exact opposé, empathique, dévoué, sensible, respectant le protocole, mais rejeté de tous pour son caractère à contre-courant de la norme. Bref, un duo comique finit par se former, mais ce sont les actions de Killian qui vont tous les deux les changer et les transformer. De fait, de farce initiale, l'enjeu de Les incognitos change de perspective pour se prendre un peu plus au sérieux à la fin, sans que cela ne dénature l'intrigue, bien au contraire. On regrettera peut-être juste la fin, totalement tirée par les cheveux, mais qui se révèle finalement raccord avec ce que Blue Sky Studios avait visiblement envie de proposer à ses spectateurs.
Artistiquement parlant, Les incognitos est un véritable sans faute. Sa technique est une vrai réussite d'autant plus que l'on voyage dans plusieurs pays. Evidemment, on n'est pas totalement dépaysé par les divers lieux traversés, parce que Blue Sky Studios propose délibérément des endroits emblématiques aperçus dans de nombreux films d'espionnage, à commencer par sa Sérénissime. Toutefois, l'oeil avisé (ainsi que ceux qui connaissent ces lieux en vrai) se rend finalement assez vite compte que Les incognitos "cartoonise" les environnements. Rien n'est réellement réaliste dans le film, c'est un grand fantasme animée, iconoclaste par son approche, qui est proposé aux spectateurs. Même le bolide électrique conduit par Lance Sterling n'existe pas, puisqu'il s'agit purement et simplement d'un concept-car imaginé par Audi, le RSQ E-tron, spécialement pour le film ! Sans nul doute l'un des plus gros placements de produit pour un long métrage animé, mais qui ne fait pour autant pas tâche dans l'intrigue puisque les belles cylindrées ont toujours été des vedettes secondaires de nombreux gros films d'action. Comédie ou non, Les incognitos reste bien entendu lui aussi un bon gros film d'action, autant jouer cette carte jusqu'au bout, même si ce film ne se prend jamais vraiment au sérieux.
Tourbillonnant à vitesse grand V, tel un manège à sensation fortes, Les incognitos reste incontestablement un film d'animation très efficace, captivant même par certains côtés et relativement drôle dans son approche. Malheureusement, le long métrage pêche par son genre, la comédie d'espionnage, qui est très codifiée et ne laisse pas beaucoup de place à l'innovation, ni aux vrais surprises. Cela rend l'aventure finalement très classique, disons mêmes assez banale dans ses objectifs, même si elle reste très appréciable. Mais ce sont surtout les personnages qui font incontestablement la différence et, plus particulièrement, les improbables quiproquos provoqués par la métamorphose en volatile du champion des espions. Cela casse complètement l'image si parfaite de Lance, tout en provoquant des situations risibles tout bonnement délicieuses. Bref, si on se laisse prendre au jeu de Les incognitos, on en ressort finalement satisfait.
Olivier J.H. Kosinski - 07 février 2020
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Doublage (Québec - 2019)
Lance : Patrice Dubois
Walter : Louis-Julien Durso
Marcy : Catherine Proulx-Lemay
Joyless : Claudine Chatel
Killian : Manuel Tadros
Doublage (France - 2019)
Lance Sterling : Daniel Lobé
Walter Beckett : Julien Crampon
Marcy Kappel : Barbara Beretta
Killian : Serge Faliu
Katsu Kimura : Xavier Fagnon
Loil : Charlotte Campana
Rose-Morose : Chrystelle Labaude
Géraldine : Emmanuelle Rivière
Wendy Beckett : Marie Chevalot
Louie : Ludovic Baujin
Technicien de laboratoire : Joan Faggianelli