Projet de longue date pour Steven Spielberg, Les aventures de Tintin - Le secret de la Licorne s'offre d'abord deux premières mondiales le même jour, à Paris et Bruxelles, le 23 octobre 2011, puis une sortie nationale également commune le 26 octobre 2011. Le Québec est également privilégié puisque le film est proposé le 09 décembre 2011, tandis que la version anglophone n'est proposée qu'à partir du 21 décembre 2011 sur le reste du territoire canadien. Amblin Entertainment ayant rarement été enclin à proposer des doublages spécifiques au Québec, ce long métrage ne dispose à ce jour que d'un unique doublage français.
Parce qu'il achète la maquette d'un bateau appelé la Licorne, Tintin, un jeune reporter, contrarie les plans d'Ivan Ivanovitch Sakharine dans sa recherche du trésor perdu de Rackham le Rouge. Avec l'aide de Milou, son fidèle petit chien blanc, du capitaine Haddock, un vieux loup de mer un peu trop mariné, et de deux policiers maladroits, Dupond et Dupont, Tintin est prêt à prendre tous les risques pour résoudre une énigme vieille de plusieurs siècles...
Hergé a très longtemps nourri l'envie de voir les aventures de son célèbre reporter Belge porté dans un grand film d'animation. Dès les années 1940, impressionné par les films produits par Walt Disney, il n'hésite d'ailleurs pas à lui écrire un courrier accompagné de quelques albums. Le studio Disney essuie d'un revers de la main la proposition - renvoyant les albums avec -, expliquant, gentiment mais fermement, que leur planning était déjà bouclé et, entre les mots, que Tintin ne les intéressaient pas. Il ne retentera pas l'expérience par la suite. Pendant ce temps, Tintin bénéficie tout de même de "projections publiques" puisque les intrigues des premiers albums du personnage sont montées sur des bobines de cinéma et accompagnées par un narrateur qui racontait l'histoire et jouait tous les rôles. C'est alors qu'entre en jeu un certain Wilfried Bouchery qui, visiblement beau parleur, parvient à décrocher les droits d'adaptation de Tintin. Mais les finances du personnage sont loin d'égaler l'homme d'affaires qu'il avait prétendu être. Le crabe aux pinces d'or, premier film d'animation produit intégralement en Belgique, croule sous les dettes obligeant ses animateurs à travailler sans être payés. Hergé ne touche lui non plus le moindre centime sur ses droits d'auteurs. Pour autant, le film est finalisé et projeté le 21 décembre 1947, pour la seule et unique fois de son existence, tous les actifs de Wilfried Bouchery étant saisis par la justice, le film y compris, dès le lendemain pour disparaître complètement des radars pendant plusieurs décennies. C'est un nouveau revers pour Hergé.
Dix ans plus tard, en 1957, Le sceptre d'Ottokar est adapté au format télévisuel sous la forme d'épisodes narratifs, à la manière des programmes radiodiffusés de l'époque. L'oreille cassée lui succède ensuite en 1959. Jusqu'à la fin des années 1950, il n'y avait donc jamais eu d'oeuvre réellement originale proposée aux spectateurs, puisque chacune d'entre elles n'étaient jusque-là que des adaptations des aventures de Tintin en album. L'année 1961 va complètement changer la donne. Non seulement Tintin allait avoir droit à une aventure totalement inédite, mais celle-ci allait prendre vie sous la forme d'un vrai long métrage avec acteur. Bien que plusieurs autres jeunes hommes aient déjà eu l'occasion d'enfiler le costume pour des opérations commerciales, Jean-Pierre Talbot entre dans l'histoire comme le premier Tintin convainquant en chair et en os dans Tintin et le mystère de la Toison d'Or. Un rôle qu'il reprendra deux ans plus tard dans Tintin et les oranges bleues. Même si de nombreuses nouvelles adaptations fleurissent au cinéma et à la télévision, il faut pourtant attendre une décennie supplémentaire pour voir Tintin avoir une nouvelle aventure totalement originale : Tintin et le lac aux requins. C'était en 1972 et tout s'est soudain arrêté là. D'un côté, Hergé est sous le feu des critiques, autant sur ces nouveaux albums qu'il met de plus en plus de temps à produire que sur le passif de certains albums désormais devenus controversés, autant sa santé déclinante joue aussi son rôle. L'étincelle n'est alors plus vraiment là, d'autant plus qu'un rude concurrent a désormais déboulonné Tintin de son piédestal, le gaulois Astérix.
A la même période, mais de l'autre côté de l'océan Atlantique, deux jeunes réalisateurs américains viennent bousculer le cinéma mondial : Steven Spielberg, qui triomphe avec un film à grand spectacle angoissant, Les dents de la mer en 1975, et George Lucas qui redéfinit totalement le paysage de la science-fiction avec Star Wars en 1977. Quelque temps plus tard, les deux hommes lancent l'idée d'un nouveau film d'aventure mettant en scène un personnage fort charismatique : Indiana Jones, incarné par Harrison Ford, est né. Alors qu'il effectue en 1981 une tournée en Europe pour promouvoir son nouveau film, Steven Spielberg constate, non sans une certaine surprise, que son héros est souvent comparé à Tintin alors que, bien au contraire, plusieurs idées de son film sont en réalité puisées dans les comics Disney mettant en scène Balthazar Picsou sous la plume de Carl Barks auquel il rend hommage. N'ayant jamais entendu parler du personnage, qui n'a jamais réussi à percer aux Etats-Unis, Steven Spielberg se procure alors quelques albums en français. Même s'il ne comprend pas tous les dialogues, il a le coup de foudre pour le personnage comme il le dira lui-même lors d'une interview. Dès 1982, il contacte les studios Hergé. Ce dernier est alors ravi de cette nouvelle, considérant le réalisateur comme le génie de son époque. Mais Hergé est à cette époque déjà affaibli, alors que les deux hommes devaient se rencontrer en début d'année 1983, il décède le 3 mars ce qui fait, en partie, capoter l'idée d'adapter Tintin à l'écran. Pour autant, après avoir rencontré sa veuve Fanny Vlamynck, Steven Spielberg obtient finalement les droits en 1984 dont il obtient carte blanche, Hergé ayant, de son vivant, toute confiance dans le talent du réalisateur pour transposer son univers. Un premier jet de scénario est alors proposé en 1985, mais celui-ci ne donne pas toute satisfaction. Le projet traîne et rien n'aboutit, si bien que Fanny Vlamynck demande à Steven Spielberg de libérer les droits d'adaptation de Tintin. Ce qu'il finit par faire en 1988.
Hormis la célèbre série animée de 1991 qui relance l'intérêt du héros, les nouvelles tentatives de porter Tintin sur le grand écran semblent définitivement oubliées. Fanny Vlamynck et, surtout, son nouvel époux Nick Rodwell se lancent en effet très vite dans la récupération de tout le patrimoine intellectuel et légal de Tintin jusqu'à devenir extrêmement élitistes dans les autorisations qu'ils concèdent autour de l'oeuvre de Hergé. La moindre incartade se retrouvant désormais sur les terrains judiciaires, rien ne laisse à penser que Tintin puisse un jour revenir sur grand écran. Le paradoxe est total, car la fondation Hergé rêve de revoir Tintin au cinéma, mais leur politique trop stricte refroidi les ardeurs de tout le monde. Steven Spielberg n'oublie pour autant pas Tintin. Il reprend contact avec la fondation Hergé qui, surprise, lui accorde à nouveau les droits d'adaptation dès 2002. Mais le projet tâtonne et s'embourbe encore une fois de plus. Ce n'est qu'au moment de tourner le quatrième volet d'Indiana Jones en 2006 que Tintin revient à l'esprit de Steven Spielberg. Il s'allie alors avec Peter Jackson, lui-même tintinophile, avec dans l'idée de réaliser un long métrage avec acteurs. Pour autant, certains détails posent problème, notamment Milou. Auréolé du succès technique de Gollum, interprété par Andy Serkis via la motion capture pour sa trilogie Le seigneur des anneaux, Peter Jackson expérimente quelques idées pour animer Milou en 3D. L'idée faisant son chemin, Steven Spielberg séduit au passage, le choix d'en faire un film d'animation est finalement adopté.
Mais quelle aventure choisir pour ce premier film américain ? Même si Hergé lui avait donné carte blanche, Steven Spielberg ne peut pas faire tout et n'importe quoi des personnages. Si Tintin est un illustre inconnu en Amérique, ce n'est pas le cas en Europe. Il est nécessaire de retravailler l'introduction des personnages, pour les présenter convenablement à tous ceux qui ne le connaissent pas encore, tout en respectant leurs essences respectives. Les aventures de Tintin s'étalant également sur plusieurs décennies, il fallait aussi rendre crédible l'apparition anachronique de certains personnages. Le choix initial se porte sur le diptyque le plus cinématographique des aventures de Tintin : Le secret de la Licorne et Le trésor de Rackham Le Rouge. Pour autant, l'intrigue des deux albums est trop dense pour n'en faire qu'un seul film. Il leur manque également une mise en contexte, puisque Haddock, comme les Dupondt, ne sont pas présentés dans les albums puisque déjà connus à ce moment là. Les scénaristes Edgar Wright et Joe Cornish imaginent alors d'entremêler Le secret de la Licorne à Le crabe aux pinces d'or, première aventure qui introduisait Haddock à l'époque. C'est également un bon compromis pour intégrer les Dupondt, dont leur gag du portefeuille trouve une utilité inattendue dans le film. D'autres remaniements sont également effectués, notamment un étoffement du rôle de Sakharine qui permet, là encore, de rendre logique l'apparition de Bianca Castafiore. Ne manque donc à l'appel que l'emblématique Professeur Tournesol, prévu pour apparaître dans une suite qui, douze ans plus tard, n'a toujours pas vu le jour.
Est-ce que Steven Spielberg a judicieusement exploité la grande liberté qui lui a été accordée pour réaliser Les aventures de Tintin - Le secret de la Licorne ? Oui et non en vérité. Oui d'abord, car le choix de la technique d'animation 3D est finalement assez pertinent. Les personnages, bien qu'un peu caricaturaux, ne sont jamais une seule fois choquants. On n'est jamais déstabilisé par leurs comportements ni par leurs physionomies respectives. Au contraire, on les accepte tels qu'ils nous sont proposés sans trop y trouver à redire. L'animation 3D garantit également de retrouver la plupart des endroits emblématiques transposés sur grand écran avec une grande fidélité. Si tant est que l'on connaisse quelques albums des aventures de Tintin, on n'est pas une seule fois dépaysé par ce qu'on nous propose. Libéré des contraintes du cinéma en prise de vues réelles, Steven Spielberg se permet également d'expérimenter des prises de vue un peu folles, rendant parfois quelques scènes virevoltantes. La plupart des comédiens, dissimulés sous les personnages numériques, se glissent également parfaitement dans leur peau malgré les quelques ajustements modernes. Non ensuite, parce que l'animation 3D en motion capture s'avère très froide. Les défauts inhérents à la motion capture se ressentent régulièrement, avec une étincelle de vie quelque peu factice, disons plutôt anormale. Steven Spielberg pousse parfois aussi le bouchon un peu trop loin dans certaines scènes d'action qui semblent alors tous droits sorties d'un jeu d'action-aventure, où l'on nous aurait privé la possibilité de jouer (ce qui s'avère aussi désagréable que regarder quelqu'un jouer en ligne), plutôt que de proposer une vision cinématographique lisible d'une vraie scène d'action. Pour comparer, la scène de course poursuite dans la jungle dans Indiana Jones et le royaume du crâne de cristal est invraisemblable mais tangible, tandis que celle dans Bagghar ressemble à un clone du pauvre d'une scène, qui plus est non jouable, piquée à Uncharted de Naughty Dogs.
Bien que très efficace et sans temps mort, Les aventures de Tintin - Le secret de la Licorne souffre pourtant d'un problème de rythme. Steven Spielberg ne semble pas vraiment savoir si son long métrage doit garder un ton sérieux ou tout prendre en dérision. Bien que n'ayant jamais été un très grand fan des aventures de Tintin, Hergé proposait des récits qui, certes, avaient quelques petits moments burlesques, mais ils étaient cantonnés à la marge de l'aventure. Cela rendait l'ensemble très intergénérationnel, d'où le célèbre sobriquet de pouvoir lire un Tintin de 7 à 77 ans. Les aventures de Tintin - Le secret de la Licorne fait un peu le yoyo en alternant scènes comiques, vaudeville et scènes d'action, si bien que le long métrage ne sait jamais vraiment à qui il doit s'adresser. L'intrigue ne laisse pas non plus le temps de distiller un vrai mystère, ni de se poser la moindre question, car tout avance à vitesse grand V. Les aventures de Tintin - Le secret de la Licorne est un film "d'instant" qui ne se prête jamais une seule fois à la réflexion. Et une fois refermé, aussi palpitante l'aventure aura été, on n'a pas vraiment envie de le revoir pour noter des éléments qu'on aurait manqués auparavant parce qu'il n'y en a aucun. Pour autant, je trouve quand même que la proposition de Steven Spielberg se tient dans l'ensemble et que cela reste, à mes yeux seulement, la meilleure expérience cinématographique du personnage à ce jour.
Olivier J.H. Kosinski - 08 juin 2023
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Doublage (France - 2011)
Tintin : Benjamin Bollen
Capitaine Haddock : Patrick Béthune
François, Chevalier de Hadoque : Patrick Béthune
Dupont : Pierre Laurent
Dupond : Guillaume Lebon
Ivan Ivanovitch Sakharine : Frédéric van den Driessche
Rakham le Rouge : Frédéric van den Driessche
Aristide Filoselle : Jacques Ciron
Allan : David Kruger
Barnabé Dawes : Vincent Grass
Lieutenant Delcourt : François Dunoyer
Bianca Castafiore : Véronique Alycia
Omar Ben Salaad : Gad Elmaleh
Nestor : Michel Dodane
Marchand : Michel Dodane
Mme Pinson : Nathalie Homs
Tom : Jérémy Prévost
Pedro : Sebastian Roché
Pilote : Bertrand Liebert
Copilote : Jérôme Pauwels
Vieille dame : Marie-Martine
Voix additionnelles :
- Philippe Morier-Genoud
- Diego Assensio
- Mathieu Moreau
- Guy Chapellier
- Marc Perez
Sources :
Planète Jeunesse