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La boucle est bouclée ! Après avoir débuté l'analyse de l'intégralité des multiples suites de la saga de Petit-Pied et sa bande de dinosaures allumés depuis plus d'un an et demi, il fallait bien terminer ce tour d'horizon en revenant aux sources, à savoir le tout premier film dirigé par Don Bluth. Mais en l'abordant cette fois d'une oreille nouvelle, par celui de ses deux doublages, et en l'incluant dans la mythologie d'une saga créée par Universal ! Le petit dinosaure et la vallée des merveilles fait parti de ces trop nombreux films d'animation à avoir subi les foudres d'un redoublage souvent jugé incongru et inutile. Officiellement, Universal n'a jamais avancé aucune raison officielle sur les raisons de ce redoublage, effectué en 2002 lors de la ressortie du film en salle, qui reste aujourd'hui encore globalement très contesté par les fans. Tout comme Disney, l'autre studio américain ne se justifie jamais sur les renouvellements de voix dans ses films. Tout au plus pouvons-nous spéculer sur deux hypothèses, plus ou moins fondées, qui ont le mérite de se crédibiliser l'une par rapport à l'autre.
Premièrement, Universal ayant conservé les pleins droits sur la franchise, le studio a lancé à partir de 1994 une longue saga vidéo paraissant de manière annuelle dans le commerce. Or, dès cette époque, rares ont été les comédiens francophones à avoir repris leurs rôles dans ces suites, à l'exception notable de Roger Carel. A cela s'ajoute le fait, qu'hormis quelques diffusions à la télévision en 1991 et 1997, Le petit dinosaure et la vallée des merveilles n'avait plus été commercialisé depuis sa sortie VHS initiale en 1990. La plupart des spectateurs avaient donc, en toute légitimité, complètement oublié les voix d'origine des personnages. De fait, quand Le petit dinosaure et la vallée des merveilles est revenu en salle le 17 avril 2002, il y avait déjà eu 7 autres longs métrages commercialisés entre-temps et un 8e venait d'être annoncé. De ce point de vue, les nouveaux comédiens avaient déjà beaucoup plus longuement imprégné les personnages. Cela paraît alors logique et légitime de les avoir rappelé pour effectuer ce redoublage plus raccord avec les autres épisodes de la saga.
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Deuxièmement, 2002 est une importante année charnière pour les grands studios américains du divertissement.C'est en effet cette année là que Disney, 20th Century Fox, MGM, Paramount, Sony Pictures, Warner Bros et Universal se sont associés pour fonder le Digital Cinema Initiatives, avec pour but de définir les nouveaux standards du format numérique. Les années 2000 ont également vu surgir un nouveau standard de diffusion des vidéos qui va peu à peu se démocratiser : le DVD. En 2002 également, la norme voulait que les salles de cinéma propose un son immersif, généralement en Dolby Digital 5.1 ou en DTS 5.1. Le petit dinosaure et la vallée des merveilles n'avait malheureusement été proposé qu'en Dolby Stéréo à l'époque, aussi bien côté américain que français. L'opportunité d'offrir une nouvelle jeunesse à Le petit dinosaure et la vallée des merveilles via un redoublage ne paraît alors pas non plus aussi insensée. Surtout côté français où il a toujours été plus commode et rentable d'effectuer un redoublage propre, que de passer des mois à restaurer un vieux doublage comme je vous l'expliquais dans mon dossier Doublage, Re-Doublages et Re-Re-Doublages, mais à quoi bon ? et que je vous invite à lire si ce n'est pas déjà fait.
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Il n'empêche, même si ces deux arguments ont leur valeur et, en quelque sorte, leur légitimité, le public qui se rendit en salle, lui, n'a clairement pas aimé de voir sacrifié l'un des plus gros succès de Don Bluth sur l'autel du redoublage en France. Mais, au contraire d'une idée répandue, cette bévue auditive ne rencontra pas une vrai fronde dans le grand public en 2002. A l'exception des quelques rares fans qui se sont effectivement rendus en salle cette année là et ont fait remonter l'info dans les forums balbutiants des débuts d'Internet, la ressortie de Le petit dinosaure et la vallée des merveilles ne fut pas très médiatique. Hormis quelques parents frustrés de ne pas avoir retrouvés les voix qu'ils connaissaient, les enfants n'avaient a priori rien à redire sur la qualité de ce redoublage qui reprenait, en réalité, les mêmes comédiens que les autres films de la saga qu'ils possédaient déjà en VHS.
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Ce n'est réellement qu'à partir de 2005 que la contestation autour du redoublage de Le petit dinosaure et la vallée des merveilles a réellement commencé. Le 1er février 2005 fut une date fatidique, Universal venant enfin de remettre en vente le long métrage en DVD, absent des rayons depuis 15 ans. Dès lors, des textes quelque peu hargneux ont commencé à fleurir dans les commentaires publics sur les sites marchands, à un degré bien moindre qu'un film d'animation Disney toutefois. En cause, une très étonnante et incohérence gestion des droits d'exploitation du film selon les supports concernés. Pour une raison relativement inexpliquée, Le petit dinosaure et la vallée des merveilles est en effet un long métrage multiple fois rediffusé à la télévision mais systématiquement dans son doublage d'origine (c'est d'ailleurs toujours le cas actuellement). La démocratisation de l'enregistrement à domicile sur VHS étant désormais très ancrée dans les foyers, mais dans une qualité moindre que les DVD, nombre de fans se sont empressés d'acheter le film sur le nouveau support. Problème, c'est devenu difficile de justifier la commercialisation d'un second doublage totalement imposé, alors que la premier doublage était toujours exploité en parallèle !
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Toutes ces péripéties peuvent-elles justifier, voire excuser, la création d'un second doublage à Le petit dinosaure et la vallée des merveilles ? Pas vraiment. En soit, le redoublage de 2002 n'est pas foncièrement mauvais. Encore faut-il exercer son oreille aux nouvelles voix, ou bien être déjà très familier des multiples suites où chaque comédien joue son rôle sans heurts. Le souci majeur du redoublage de 2002, c'est son interprétation. En 1988, Le petit dinosaure et la vallée des merveilles dégageait une forme d'innocence et de spontanéité que le redoublage de 2002 est incapable de reproduire. La raison est simple, Nipul Ahangama-Walawake (Petit-Pied), Sauvane Delanoë (Cera) et Aurélia Dausse (Beckie) étaient des enfants, tout du moins de jeunes adolescents, lorsqu'ils ont joués ces rôles. La complicité entre eux fonctionnent, leurs voix ne sont pas traficotées, leurs tâtonnements et leurs quelques maladresses de langage sonnent familiers. Bref, à l'écoute, l'alchimie entre les personnages fonctionnent à tous les niveaux.
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Pour la version de 2002, Stéphanie Lafforgue (Petit-Pied), Kelly Marot (Cera) et Caroline Cons (Becky) sont clairement des adultes tentant d'imiter des voix d'enfants. Une pratique courante dans le milieu du doublage, car les cordes vocales féminines adultes ont cette étonnante particularité de pouvoir le faire, contrairement aux hommes où le timbre de voix est plus marqué en raison d'un mue plus importante à l'adolescence. Les comédiennes adultes sont également plus pratiques pour les doublages d'enfants sur les longues sagas, car elles peuvent conserver une cohérence vocale sur le long terme, là où un enfant verrait forcément, à un moment ou un autre (surtout chez les garçons), sa voix changer en cours de route. Du coup, Le petit dinosaure et la vallée des merveilles version 2002 perd irrémédiablement ce côté enchanteur et authentique qu'avait la version de 1988.
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Parmi les rôles secondaires, le redoublage de 2002 a aussi beaucoup de mal à convaincre même s'il compte d'éminentes voix françaises. Barbara Tissier, dont la voix très modulable est archi-connue des fans et qui s'occupe aujourd'hui de nombreuses adaptations de films pour Disney chez Dubbin Brothers, reprend le rôle de la mère de Petit-Pied. Même si elle apporte un côté très doux au personnage, elle ne parvient pas une seule fois à s'imposer dans le film. Elle succède vraiment très mal à Marie-Christine Darah qui jouait ce même rôle en 1988 (et qui a aussi participé à quelques unes des suites). Marie-Christine Darah s'impose plus dans ce rôle de mère protectrice, à la fois douce et compréhensive, mais surtout terriblement menaçante quand son fils est en péril. Son interprétation pour la disparition du personnage est aussi très poignante. Je me souviens d'ailleurs qu'un débat reprochait la présence Marie-Christine Darah alors qu'elle jouait un rôle identique dans Bambi. Sauf que c'était en 1993, soit cinq ans plus tard, qu'elle joua le rôle de la mère de Bambi. S'il y avait une gêne à entendre Marie-Christine Darah dans les deux films, c'est à Bambi qu'il aurait fallu le reprocher et non à Le petit dinosaure et la vallée des merveilles.
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Du côté des narrateurs, Gérard Hernandez (2002), lui même ayant officié par deux fois sur Bambi, ne convainc pas plus. Tout au plus se contente-t-il de nous raconter une nouvelle histoire de schtroumpfs sans une réelle once de conviction. Sa narration est détachée, automatique, lointaine, elle n'entraîne pas le spectateur dans un festival d'émotions. Henri Virlogeux (1988) et sa voix déraillée s'imposent un peu plus. Il n'est plus un narrateur extérieur, il participe au récit, ce que confirme sa prestation du personnage de Plocus. Le spectateur se demande alors forcément si tout le récit du film n'est pas relaté par ce troublant personnage, qui n'a pourtant qu'un rôle mineur et détaché du reste de l'intrigue. D'un autre côté, il permet aussi d'imaginer que c'est Petit-Pied lui-même, alors âgé, qui raconte son histoire. Plocus n'étant alors que la matérialisation de sa conscience lors de la tragique perte de sa mère. Le redoublage écartant cette idée, puisque le rôle est séparé de celui du narrateur et joué par Pascal Renwick.
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
Roger Carel reste quand à lui... Roger Carel. Fidèle à lui-même, il reprend sans réel problème Petrie dans l'un et l'autre des doublages du film. Certes, sa voix a sensiblement changé en 14 ans, mais dans l'ensemble il reste le seul comédien satisfaisant de la version de 2002, apportant même un effet névotrique plus appuyé à Petrie dans cette version. Il n'empêche, là encore, sa seconde interprétation est malheureusement elle-aussi un cran au dessous de celle de 1988. Mais Roger Carel n'est cette fois pas en cause, c'est la nouvelle adaptation des dialogues qui pose problème : la plupart des dialogues amusants de la version de 1988 ont malheureusement tous été sacrifiés. Le célèbre "J'ai voli ? Non t'es tombi", le cri d'angoisse improvisé de Becky pour attirer le Dent-Tranchente ou encore son sempiternel "Voui, Voui, Voui" ne figurent plus dans la version de 2002. Ici, c'est un problème purement juridique lié aux droits d'auteurs français. Pour qu'un auteur puisse percevoir une rémunération sur une nouvelle traduction, il est condamné à ne pouvoir réutiliser qu'un pourcentage très infime d'une précédente traduction. Tout ce qui fait l'originalité d'une précédente adaptation est donc systématiquement évincé lors de chaque redoublage (D'où le Zirgouflex en 1990 et la Touninouflette en 1998 pour La petite sirène).
Extrait du Storyboard. Source image : Pudleiner.
15 ans plus tard, et à l'heure où sont écrites ces lignes, la question épineuse du redoublage de 2002 n'est toujours pas résolue. Elle continue même encore à se poser dans la mesure où Le petit dinosaure et la vallée des merveilles est commercialisé avec son second doublage sur le Blu-ray américain parue le 13 octobre 2015, alors que son doublage d'origine a pourtant été repris tel quel lors de la ressortie du film en salle le 24 juin 2015 en France. Ce même doublage d'origine étant par ailleurs également disponible en version dématérialisée. Même chose concernant le DVD paru le 2 novembre 2016 qui reprend aussi le doublage de 2002, alors que le film a encore été rediffusé sur Gulli avec son doublage d'origine le 1er janvier 2017. La situation perdurera sans doute encore quelques années, mais dans tous les cas de figure, on ne peut résolument pas nier que le redoublage de 2002 se situe bien en dessous de la version de 1988 qui reste autrement plus sincère et plus touchante que la seconde. Seuls les enfants ayant été élevés avec les multiples suites ne seront pas heurtés par ce redoublage, bien au contraire d'ailleurs. Le problème étant qu'aujourd'hui, ils sont largement plus nombreux que les fans du doublage d'origine qui ont, eux, tout fait pour se tenir le plus éloigné possible des travers des suites nées en 1994. Bref, affaire de suites !
Nota Bene : La liste des comédiens ayant contribué à ces doublages francophones est disponible dans la fiche dédiée du film. Merci de vous y reporter.
Olivier J.H. Kosinski - 02 juin 2017