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Voici maintenant plusieurs années que nos quatre sites, La Gazette du Doublage, Dans l'ombre des studios, Film Perdu et Les Grands Classiques s'unissent pour retrouver des informations et des éléments sonores concernant les premiers doublages Disney tombés dans un injuste oubli. En raison des vagues de redoublages successifs, certains sont perdus depuis cinquante ans et seuls subsistent quelques extraits. Les recherches sont si complexes que la collaboration de nos quatre sites est primordiale dans ce dossier, chacun apportant les compétences qui lui sont propres (archives sonores, archives papier, identification de voix, gestion des sources, restauration, lien avec les interprètes de l'époque, etc.). La découverte, la restauration et l'analyse de la VF originale de Blanche Neige et les sept nains fut en 2013 l'un des points culminants de cette collaboration (Voir ici, ici et là).
En 2014, nous avons retrouvé de nouveaux extraits de premiers doublages Disney, certains très courts (4 mn de plus que ce qui avait déjà été retrouvé pour La belle au bois dormant) et d'autres très longs (la quasi-totalité de la 1ère VF de Bambi a pu être reconstituée). Ils ont été dévoilés au cours du mini « Festival des anciens doublages Disney » où chacun de nos sites a proposé une analyse voxographique et des extraits : Pinocchio sur Film Perdu le 2 juin, Bambi sur Les Grands Classiques le 3 juin, Alice au pays des merveilles sur La Gazette du Doublage le 4 juin et enfin La belle au bois dormant sur Dans l'ombre des studios le 5 juin. Vous êtes donc bien en train de lire celle consacrée aux doublages successifs de Bambi, avec un focus particulier pour le tout premier doublage de 1945 retrouvé presque en totalité (les segments absents ayant été comblés par la VO) que j'ai l'honneur de vous présenter.
Comme vous le savez sans nul doute, Bambi est sorti originellement en salle aux Etats-Unis en 1942. Tout comme ses trois prédécesseurs Pinocchio, Fantasia et Dumbo, il ne fut projeté en France qu'après la fin de la seconde guerre mondiale. Cependant, pour sa version française d'origine, Bambi fut doublé très tôt, dès décembre 1945, mais Disney décida de planifier sa sortie sur le long terme1 inversant au passage la chronologie de réalisation des films . Pinocchio et Fantasia attendirent ainsi le 22 mai et le 1er novembre 1946 pour être projetés en France, puis c'est Saludos Amigos qui fut le premier l'année suivante, le 11 février 1947. Suivit Bambi le 15 juillet 1947 et enfin Dumbo qui ferma la marche le 25 octobre 1947. Le doublage original de Bambi, désormais retrouvé lacunaire mais suffisamment complet pour émettre un avis, fut ensuite réutilisé à deux reprises pour les ressorties de décembre 1957 et de décembre 19693. Pour cette première version, aucune des chansons du film ne furent cependant doublées en français, probablement parce qu'elles sont avant tout illustratives des saisons qui passent, plus que réellement narratives. En janvier 1979, la décision est prise d'offrir un tout nouveau doublage au film qui sort donc avec sa nouvelle version française, cette fois intégrale (avec les chansons donc) durant les vacances de Pâques 19793. Cette version réussira à parvenir complète et intacte jusqu'à nous car elle fut exploitée dans une unique édition vidéo commerciale qui ne traversa cependant jamais l'Atlantique : une VHS québécoise parue le 28 septembre 1989. Car quatre ans plus tard, en 1993, Bambi fit l'objet d'un troisième et actuellement dernier doublage français disponible dans toutes les éditions vidéos récentes.
Pouvoir comparer plusieurs doublages francophones de films d'animation Disney est toujours un immense plaisir. Car c'est en effet l'un des rares moyens de découvrir l'évolution de notre façon de nous exprimer en français à travers le temps et de s'immerger dans une sensibilité propre à chaque époque. C'est aussi l'une des rares méthodes démontrant que les redoublages successifs tuent à petit feu, de façon parfois insidieuse, les spécificités d'une l'oeuvre conçue et pensée pour une époque particulière, tout en se bornant à lisser de doublage en doublage toute expression jugée plus du tout politiquement correcte des années plus tard. Les trois doublages de Bambi en sont ainsi les meilleurs représentants de ce phénomène, plus particulièrement rien qu'avec l'adorable petit lapin Panpan.
Ainsi, dans la version française originale de 1945 le jeune comédien (dont on ignore malheureusement le nom) qui joue Panpan parle un fort argot qui lui est exclusivement propre à la fois rigolo et inhabituel pour un public non averti. Il n'hésite pas à se marrer des « guiboles » (jambes) de Bambi qui font des noeuds sur l' « eau solide » (glace) ou bien à se faire plaisir avec du « nanan » (friandise) qu'il se régalera à « boulotter » (manger). Plus réjouissant encore, Panpan n'hésite pas à ronchonner par un sarcastique « Oh ça r'commence ! » face aux reproches de sa mère qui lui demande de se rappeler une des règles de son père. Pour le redoublage de 1979, Panpan va pourtant subitement s'assagir, par un moins réprobateur « Oh celle là, je l'a connais », dans un pur esprit de mauvaise fois tout de même, marquant qu'il a été pris en faute. Le tout avec la voix féminine de Aurélia Bruno qui ne correspond pas du tout à ce que l'on attend d'un petit héros masculin (surtout qu'elle tranche avec sa voix adulte) mais qui lui sied pourtant à merveille. Dans la version la plus récente de 1993, avec la voix du jeune Dimitri Rougeul (qui offrira aussi une incontournable performance à Simba l'année suivante), Panpan occulte malheureusement complètement son côté espiègle au profit d'une vrai culpabilité via le neutre « Laisses moi réfléchir », ce qui fait du coup tomber à plat le gag vocal qui suit. En trois versions et 46 ans d'écart, Panpan a donc complètement changé de personnalité : de l'enfant franchement turbulent à l'enfant tout juste gaffeur !!
En ce qui concerne le jeune Bambi, le dossier de presse de l'époque nous apprend que c'est un jeune Gilles, sans nom de famille malheureusement, qui offrit sa voix au personnage dans la version originale de 1945. Notons que ce sont plusieurs des conversations avec sa mère qui son absentes des extraits retrouvés de ce doublage. Malgré tout on peut l'entendre à plusieurs reprises avec Panpan dont la relation amicale est vraiment sympathique. A commencer par son apprentissage où Bambi prononce à tout va des « Oua.. O » craquants (puisqu'il est question d'oiseaux) ! La version de 1979 respectera la même onomatopée puisque Frank Baugin dira en seule syllabe « Ouao », tandis que le Bambi de Sélim Mouhoubi ne sera capable de prononcer que le seul « Moua » depuis 1993 puisqu'on lui apprend que ce sont désormais des moineaux. Je ne pense pas trop me tromper en disant que dans les trois versions, les comédiens ont tous approximativement le même âge, entre dix et douze ans environ. Leurs voix set prêtent donc toutes sans aucun problème à Bambi enfant. Lorsqu'il est adulte, Bambi parle finalement assez peu, hormis la chanson d'amour (non doublé dans la version de 1945, comme toutes les chansons du film). Aucune réelle démarcation en terme de vocabulaire ou de dialecte ne démarque une version par rapport à l'autre. Maurice Porterat (1945), Bernard Alane (1979) et Bernard Gabay-Brieux (1993) conviennent donc tous sur le personnage.
Pour la mère de Bambi, l'absence d'une bonne partie des dialogues d'Hélène Tossy sur la version originale de 1945 m'oblige à une certaine réserve dans l'analyse de sa voix sur le personnage, d'autant que je regrette vraiment l'absence des conservations « banales » qu'elle a avec son fils qui aurait apporté un plus non négligeable. Exception fête d'une terrible scène dans la prairie où l'on ressent réellement la frayeur de la mère de Bambi rien que dans la voix d'Hélène Tossy : brusque et paniquée. Pour le reste de ce que l'on entend d'elle, remarquons simplement que sa voix est très très proche de celle de Paula Winslowe (sa voix anglaise). En 1979, Liliane Patrick lui offre une voix plus douce, rassurante, voire compatissante. Elle sait aussi se montrer ferme lorsqu'elle intercepte son fils qui court vers la prairie. Par contre, elle ne réussit pas vraiment à retransmettre le sentiment de panique lorsque les humains font leur première intrusion dans le film. En 1993, Marie-Christine Darah choisira de nuancer ce marquant moment du film par un effet vocal qui va crescendo. D'abord inquiète, puis effrayée et enfin réellement affolée pour Bambi. Marie-Christine Darah est d'ailleurs la seule à faire aussi ressortir l'espièglerie de la mère de Bambi, notamment lorsque celui-ci rencontre Féline. On s'étonnera donc peu d'avoir pu la retrouver 13 ans plus tard dans Bambi 2 sur le même rôle qui eu l'honneur d'une sortie en salle en France.
Si vous le voulez bien, faisons encore un dernier focus sur deux personnages particuliers, car je ne voudrais pas que cette analyse, déjà longue, vous assomme : Féline et Maître Hiboux. On a très peu l'occasion d'entendre la jeune Féline qui n'a que quelques lignes de dialogues. Dans la version française originale de 1945, c'est Marie-Claire Marty qui joue Féline. Il s'agissait ainsi de son premier doublage pour Disney, puisqu'elle réitérera l'expérience pour Alice et Wendy quelques années plus tard. Sa voix donne du personnage un sentiment plus juvénile par rapport à Bambi. Un constat similaire pouvant être fait avec Morgane Flahault en 1993 (qui retrouvera Dimitri Rougeul dans Le roi lion en 1994 dans le rôle de Nala). Ce n'est donc que dans la version de 1979 que Féline aura une voix plus affirmée. Malheureusement, nous ignorons qui jouait ce rôle à l'époque. Dans sa version adulte, cinq comédiennes se cachent derrière le personnage ! L'une d'entre elles, dont le nom est inconnu actuellement effectuait uniquement les dialogues pour la version de 1945, aucune des chansons du film n'ayant été adaptées en français. En 1979, ce sont Monique Thierry et Danielle Licari qui se partagent respectivement les dialogues et le chant. Un choix plutôt pertinent puisque leurs registres sont globalement similaire, la transition étant donc naturelle à entendre. Le constat est tout autre en 1993 où les dialogues de la jolie voix d'Aurélia Dausse ne se marient pas avec la toute aussi belle voix de Bénédicte Lécroart. Cela crée dès lors une dissonance, qui semble dissocier la chanson d'amour des personnages. Je ne sais pas trop comment l'expliquer, mais disons que ce ne sont plus les personnages qui chantent comme en 1979, ce sont au contraire des chanteurs qui accompagnent l'histoire des personnages. Vous voyez l'idée ?
Terminons enfin avec Maitre Hiboux. Non pas parce qu'il est emblématique du film (il est très peu présent à l'écran), mais par un curieux choix vocal effectué entre 1979 et 1993. Gérard Hernandez, qui succéda en 1979 à Lucien Blondeau sur le personnage, fut aussi convié au redoublage... de 1993 ! Pour autant, bien qu'il soit présent sur les deux derniers doublages de Bambi, son interprétation est radicalement différente d'une version à l'autre. En 1979, il donne à Maitre Hiboux la même voix qu'il attribuera ensuite au Grand Schtroumpf dans la série télévisée de 1982. Alors qu'en 1993, il ne tentera pas de maquiller sa voix qui restera donc naturelle. Tout du moins au début du film, puisque le Grand Schtroumpf tentera quelquefois de refaire surface à la fin du film !! Avant de conclure, évoquons aussi la présence de Maurice Nasil qui joua le rôle de Fleur dans le doublage d'origine, un rôle de timide sur mesure qu'il affinera en 1962 pour... Timide dans Blanche-Neige et les sept nains ! Relevons aussi une autre grande voix habituelle chez Disney sur la période, avec la présence de Lita Recio qui fait la voix de la mère de Panpan ainsi que quelques voix de groupe au début du film.
Au final, que retenir de cet article ? D'abord que la redécouverte exceptionnelle du doublage originel presque intégral de Bambi réalisé en 1945 permet de redécouvrir l'oeuvre sous un tout nouveau jour. Le film n'étant pas spécialement bavard, les quelques manques au niveau des dialogues (remplacés judicieusement par la VO) et l'absence d'adaptation en français des génériques sont certes regrettables, mais on se laisse tout de même emporter par le tourbillon de ce film remarquable intemporel. Ensuite, que Bambi est un cas typique de lissage insoupçonné de dialogues à travers ses trois redoublages qui l'ont rendu de plus en plus neutre, particulièrement Panpan dont la personnalité en français a été fortement bridée. Enfin, que le dernier doublage de Bambi parvient quand même à rendre justice au long métrage par une adaptation de bonne qualité, certes édulcorée, mais dont personne n'aurait soupçonné le procédé s'il n'a jamais connu que cette dernière version. Bref, un monument du cinéma d'animation qui ne demande plus qu'à être retrouvé complet dans son doublage originel de 1945. On y est presque désormais !!
Article publié dans le cadre du mini-festival « Les anciens doublages Disney », un événement proposé par Greg P./Film Perdu (restauration sonore et montage, archives presse), Rémi C./Dans l'ombre des studios (co-écriture des articles, coordination de l'événement, des archives et des identifications de voix), FJ /La Gazette du Doublage (archives) et Olikos/Les Grands Classiques. Avec le soutien précieux de Jean-Pierre Nord et Bastoune (identification des voix), Sébastien Roffat (histoire de l'animation), Gilles Hané et Christian (collectionneurs). Découvrez les autres articles du festival : Pinocchio sur Film Perdu, Bambi sur Les Grands Classiques, Alice au pays des merveilles sur La Gazette du Doublage et La belle au bois dormant sur Dans l'ombre des studios.
Nota Bene : La liste des comédiens ayant contribué à ces doublages francophones est disponible dans la fiche dédiée du film. Merci de vous y reporter.
Olivier J.H. Kosinski - 03 juin 2014