Repoussé comme tous les longs métrages animés en période pandémique, Les secrets de la jungle, 23e opus de la franchise, troque sa traditionnelle sortie estivale au cinéma pour une sortie hivernale au Japon le 25 décembre 2020. Le reste du monde doit attendre presque une année entière, puisqu'il n'est proposé qu'à partir du 08 octobre 2021 via Netflix. Comme tous les films précédents, le long métrage ne dispose que d'une unique version française.
Abandonné au milieu de la jungle, un bébé est recueilli par un Zarude. Face à l'hostilité du reste de sa tribu, celui-ci décide quand même d'adopter l'enfant, quitte à devoir renoncer à ses semblables. Désormais appelé Koko, le jeune enfant devient un jeune homme plein de vitalité au milieu d'une jungle sauvage, développant même un très fort lien d'amitié avec les pokémons. Mais il se rend vite compte qu'il n'est pas un Zarude comme les autres. De sa rencontre fortuite avec Sacha, il va soudain comprendre que ses origines, tout comme son destin, sont loin d'être ceux qu'il imaginait...
Si on m'avait dit un jour que je serais fasciné par un long métrage animé Pokémon, je pense que je n'y aurai pas vraiment cru. Pourtant, j'ai toujours eu une grande affinité avec la saga vidéoludique japonaise. L'intrusion discrète de Mew sur LesGrandsClassiques.fr dès ses origines, alors que le site n'était autrefois qu'exclusivement consacré à Disney, était un choix délibéré. Les deux passions sont nées au même moment, mais il aura fallu dix ans plus tard pour que je parvienne à véritablement concilier les deux en utilisant un beau subterfuge : Disney avait distribué 4 films Pokémon aux États-Unis via sa filiale Miramax, ce qui légitimait d'autant plus de concilier les deux au même endroit. Aujourd'hui, bien sûr, la ligne éditoriale du site abordant désormais un plus large panel de studios, cela semble moins perturbant pour les lecteurs, mais l'anecdote reste toujours amusante à raconter. Toujours est-il que j'ai toujours eu une certaine affection pour la saga cinématographique Pokémon. Par contre, n'ayant jamais vraiment eu de fibre nostalgique, mes coups de coeur ne sont arrivés qu'avec la seconde génération de films, ceux constituant la saga Advanced Generation (les films 6 à 9) que je considère encore aujourd'hui comme le point culminant de la franchise. Par la suite, la saga a ronronné, faisant dans le classique, mais sans vraiment chercher à se renouveler. Elle a même complètement plongé dans une zone quasiment abyssale durant la période Noir et Blanc. Le terrible séisme de 2011 et le tsunami qui en a suivi ayant largement bousculé les plans initiaux de la franchise vers un thème plus léger, ce qui n'a pas vraiment été pour le mieux, alors que le diptyque vidéoludique proposé fut plus profond que ce que les générations précédentes avaient proposées.
C'est alors qu'une idée lumineuse a germé en 2016. A l'occasion de son 20e anniversaire, il fut décidé de relancer complètement la saga cinématographique et, surtout, de la déconnecter totalement de la série télévisée. Assurément un choix risqué et inattendu qui a relancé la franchise sur des terrains inconnus. Un nouveau vent frais soufflait désormais sur la saga. Si l'on excepte le semi-ratage que représente le remake hors-série 3D du tout premier film, que l'on peut résolument oublier et considérer comme une belle erreur de parcours, la saga Pokémon au cinéma est devenue, plus ou moins, un tout nouveau terrain expérimental pour la franchise. Même si Je te choisis reste finalement très classique dans la forme, comme dans le fond, par rapport au passif de la saga, le long métrage a eu la bonne idée de réécrire assez astucieusement le début de l'aventure de Sacha et Pikachu, ce qui débarrassait les deux personnages de tout le poids des années et de leurs innombrables aventures. Je te choisis opérait une petite révolution en changeant tout bonnement le cours de l'histoire. Le pouvoir est en nous, ensuite, opérait une transition douce en remettant au centre de l'intrigue les relations humains/pokémons, comme c'était déjà le cas durant la période Advanced Generation. Plus intime, moins démesurée, l'aventure s'avérait plus pertinente mais, paradoxalement, s'avérait un peu trop fouillie à cause de la surabondance des personnages principaux qui ne parvenaient pas vraiment à se démarquer les uns des autres. Quand est arrivé le tour de Les secrets de la jungle, j'avoue avoir eu des doutes. Je dois reconnaître que je ne m'attendais absolument pas à découvrir un film aussi mature.
Les secrets de la jungle lorgne évidemment, mais sans jamais chercher à s'en cacher, du côté des deux oeuvres mondialement connues que sont Le livre de la jungle de Rudyard Kipling et Tarzan de Edgar Rice Burroughs. Koko, le héros de cette 23e aventure, est un amalgame très réussi de Mowgli et Tarzan, mélangeant assez adroitement leurs personnalités respectives, tout en ayant une dimension humaine bien à lui. Particulièrement intéressant, Koko passe par un florilège de tourments et se pose tout un tas de questions existentielles très pertinentes. Conscient d'être différent des Zarude, mais sans réussir à percer son trouble, sa rencontre fortuite avec Sacha va complètement bouleverser l'enfant sauvage. C'est alors qu'entre en scène la seconde idée heureuse de l'intrigue, placer sur sa route un premier antagoniste Pokémon avec une véritable dimension humaine. Froid, manipulateur, sournois, calculateur, sans scrupule, n'hésitant pas une seule seconde à recourir à la violence, il a pourtant une assurance et un charisme certains au point d'arriver à donner le change auprès de son entourage. En somme, un véritable loup au milieu des brebis, ce qui tranche radicalement avec tous les précédents protagonistes de la saga Pokémon, nettement plus manichéens. Celui-ci a un but clair et précis, que l'on pourrait même qualifier d'assez noble dans les grandes lignes, mais son côté narcissique l'empêche d'avoir la moindre compassion ni estime pour les autres. Pour lui, seule la fin justifie les moyens et il recourt pour cela jusqu'au meurtre. Un vrai de vrai cette fois, froid et abject. Une audacieuse grande première dans la saga Pokémon qui avait toujours éludé cette particularité dans les précédents films !
La combinaison du parcours initiatique de Koko à celui des Zarude est aussi très intéressante dans Les secrets de la jungle. Tandis que Koko apprend à mieux se connaître, à s'ouvrir au monde, tout en passant par une grande phase de remise en question, le peuple des Zarude connaît aussi de grands bouleversements. Tandis que Koko mélange Mowgli et Tarzan, les Zarude lorgnent résolument du côté de La planète des singes, en particulier la plus récente trilogie que les films d'époque, même si, en substance, les deux partagent cette même similarité de traitement de l'évolution des singes. Tout aussi intéressant, le Zarude qui prend sous son aile Koko, que je nommerai "Dada" puisque c'est le nom choisi dans la version française (c'est juste "Papa" dans la version originale), subit un parcours initiatique inversé. Là où Koko est écarté de la vie humaine par la force du destin, Dada s'éloigne de son propre chef de sa tribu car les autres Zarude souhaitent se débarrasser du bébé mais, aussi, parce qu'il n'y trouve pas lui-même sa place. Les secrets de la jungle joue d'ailleurs habilement sur cette particularité, puisque Dada, tout comme Koko, cache un lourd secret sur ses origines. Les deux étant inévitablement liés par le destin et par l'ombre d'un Celebi chromatique qui ne montrera sa frimousse qu'à la toute fin du long métrage, bien qu'il soit présent tout au long de l'intrigue si on y prête attention. Le destin de Dada et de Koko étant entrelacés, et comme nous sommes dans la franchise Pokémon, les deux peuples, humains et pokémons, trouvent évidemment un moyen de vivre ensemble - ce n'est ni une surprise, ni un spoiler - , mais toute l'évolution qui y mène est au-dessus de la moyenne des derniers films de la franchise. Pour moi c'est, incontestablement, LA vraie surprise de Les secrets de la jungle.
Sur le plan technique, Les secrets de la jungle envoie aussi du lourd. Je ne sais pas si les auteurs voulaient retranscrire une jungle réaliste et luxuriante, mais c'est bel et bien l'exploit qu'ils ont accompli pour ce film. Le long métrage compte de très nombreux arrière-plans, tous extrêmement détaillés, que ce soit en milieu urbain comme sauvage. Il y a déjà eu plusieurs changements de tonalité graphique dans les films précédents, particulièrement durant la phase X/Y. Mais depuis que la Team Kato de OLM a repris le flambeau, c'est devenu nettement plus spectaculaire. Je n'irais pas jusqu'à dire que Pokémon a atteint la richesse des environnements Ghibli, n'exagérons pas, mais Les secrets de la jungle se situe vraiment en haut des belles productions animées japonaises de ces dernières années. Seul bémol, l'usage toujours aussi peu soigneux des modèles 3D utilisés dans le film, décidément la grosse bête noire des films d'animation japonais. Sur le plan audio, sans surprise, les versions internationales sont douloureusement écornées. Pour une fois la bande originale est globalement respectée, du côté des musiques d'ambiances j'entends. Ce n'est malheureusement pas le cas des chansons qui sont, avouons-le, complètement hors contexte par rapport à la version originale japonaise. C'est d'autant plus désolant que Les secrets de la jungle en compte cette fois-ci plusieurs. Il s'agit ici également d'une grande première, puisque tous les films pokémons se sont toujours contenté de deux titres uniquement : celle du générique d'ouverture, qui reprend la majorité du temps le générique contemporain de la série télévisée, et celle du générique de fin qui livre généralement une sorte d'épilogue chanté sur le destin d'un ou plusieurs personnages du film. Les versions internationales, dont les françaises, ont toujours été très creuses, formatées, pleines de bons sentiments enfantins, voire mielleuses, mais sans jamais le moindre rapport avec le contenu du film. La chanson du générique final japonais ayant, au contraire, toujours proposé une sorte de prolongement, voire de complément à l'intrigue du film.
Les secrets de la jungle compte ainsi pas moins de cinq chansons, aucune chantée par les personnages cela dit. Deux d'entre elles sont réservées aux génériques, c'est une tradition immuable. Les trois autres interviennent à plusieurs moments clés du film. La toute première, la chanson des Zarude, sert d'ouverture au long métrage. Elle fait immanquablement penser à une chanson d'ouverture de film Disney qui veut rapidement placer un contexte global en seulement quelques minutes. Cela fonctionne d'ailleurs très bien, on comprend instantanément comment fonctionne la tribu des Zarude ainsi que leur système hiérarchique, tout en expliquant leur place dans l'écosystème de la jungle. La seconde chanson s'inscrit dans le générique d'ouverture du film. Les choix musicaux sont radicalement opposés entre la version japonaise et les versions internationales. La version originale propose une chanson entraînante, remplie de joie de vivre qui contraste avec ce que les images montrent. Ainsi, même si Dada s'inquiète constamment sur l'enfant qu'il a recueilli, la chanson s'inscrit dans une démarche de gaieté. En gros, même si c'est difficile, sa vie avec Koko est un bonheur permanent. On comprend tout de suite que leur relation est unique et la chanson trouve plus tard un écho lorsque Koko affronte Dada après avoir découvert ses véritables origines. La version internationale passe à côté de cette subtilité et se contente juste de présenter un mentor qui s'inquiète, mais pas vraiment un père aimant. Involontairement, la version internationale semble vouloir marquer une frontière entre l'humain et le pokémon, comme si la relation était finalement contre nature, là où la version japonaise ne fait aucun cas de leurs origines biologiques.
La troisième chanson du film s'inscrit au moment où Sacha fait découvrir les merveilles du monde humain à Koko. Là encore, les divergences d'interprétation sont très marquées. Les versions internationales proposent une chanson dans la droite lignée des génériques de la série télévisée. On y entend principalement que l'amitié est plus forte que tout. Plus gênant, les paroles placent Sacha en tant que modèle à suivre pour Koko. En substance, on ne peut s'amuser qu'en compagnie de ceux qui nous ressemblent. La chanson, bien qu'entraintante, semble donc vouloir dire que le chemin tout tracé de Koko est de rejoindre la vie humaine et renier sa vie de Zarude, ce que les dialogues internationnaux à la fin du film semblent confirmer. Sauf qu'être Zarude fait entièrement parti de Koko, c'est un beau ratage. La version japonaise n'a heureusement absolument rien à voir. Déjà, elle ne place pas dans les paroles un lien d'amitié entre Sacha et Koko comme le fait la version internationale. Le titre retranscrit la philosophie de Sacha qui aime simplement la vie comme elle vient. Il croque la vie à pleines dents. Avec la joie de vivre qui le caractérise, Sacha montre à Koko que, en évitant de s'imposer des contraintes, on peut vivre heureux en faisant ce que l'on veut. Le bonheur des choses simples. Là encore, le titre, très entraînant, est un fort contraste avec la vie que Dada et Koko ont connu. Ils ont toujours été des parias, vivant reclus, certes ensemble, toujours à l'affut du danger, car rejetés par tout le monde. Dans la version japonaise, Koko découvre une vie qu'il n'a jamais connu, qui lui fait envie, qu'il ressentait au fond de lui de par sa nature humaine, mais sans pour autant renier son passé de Zarude. Il doit d'ailleurs apprendre à concilier ses deux moitiés de lui durant la deuxième partie du film, cette chanson servant de point de basculement au récit.
La quatrième chanson de Les secrets de la jungle n'existe carrément plus du tout dans la version internationale ! Sacrilège ! Non content d'avoir remplacé complètement le seul dialogue essentiel inclus au milieu du morceau, par quelque chose d'autre qui n'a absolument aucun sens, la version internationale prive carrément Dada de son acte de foi, en d'autres termes, des magnifiques sentiments d'un père pour son fils pour y mettre à la place un bête accompagnement musical, certes joli, mais à mille lieux de la puissance du titre japonais. On y entend pourtant un père qui, ayant tout transmis et tout compris de son fils, est tout simplement fier de ce qu'il a accompli, des choix qu'il a fait, que le cordon est désormais coupé, mais qu'il restera toujours un père aimant malgré tout. La toute dernière chanson enfin, celle du générique, sert une fois encore d'épilogue où le chanteur, assimilé à Dada cette fois encore, souhaite tout le bonheur du monde au nouveau voyageur mais espère le revoir très vite auprès de lui. Que propose la version internationale ? Une insipide chanson pop d'amitié sans rapport avec l'intrigue (ni même accordée avec la danse des deux pokémons vu à l'écran, fallait oser...), où l'amitié est plus forte qu'une relation filiale. On ne pouvait pas faire plus à côté de la plaque. L'infantilisation extrême, récurrente et constante, de Pokémon depuis toujours par les américains est impossible à justifier. A croire qu'un enfant américain n'a pas de cervelle et qu'il faut tout lisser pour qu'on puisse les laisser regarder.
On pourrait croire que l'énorme avantage de disposer de Les secrets de la jungle en version multilingue sur Netflix serait une bénédiction. C'est malheureusement une grossière erreur de le croire. Comme les deux derniers films précédents qui s'étaient vu chamboulés dans leurs contenus en dehors du Japon, y compris dans leurs versions japonaises remaniées, Les secrets de la jungle ne propose aucun sous-titrage tiré directement de la version originale. Quelques formulations par-ci, par-là, ont certes été modifiées (peut-être parce que l'adaptateur lui-même trouvait le contresens vraiment trop énorme pour les laisser passer), mais tout le sous-titrage repose intégralement sur le doublage anglais. Une véritable catastrophe pour Les secrets de la jungle qui perd en substance quasiment tout ce qui fait l'incroyable force de son récit. Car, assurément, et cela faisait vraiment longtemps que cela ne m'était pas arrivé devant un film Pokémon, Les secrets de la jungle est résolument un vrai coup de coeur, à savourer exclusivement en version originale japonaise.
Olivier J.H. Kosinski - 18 février 2022
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Doublage (France - 2022)
Sacha : Aurélien Ringelheim
Dada Zarude : Guy Theunissen
Koko : Grégory Praet
Jessie : Catherine Conet
James : David Manet
Miaouss : Didier Colfs
Dr Dred : Benoît Grimmiaux
Pilote : Frédéric Clou
Delia : Fablienne Loriaux
Présentatrice : Julie Basecqz
Infirmière Joelle : Delphine Chauvier
Dresseur de Tétarte : Jean-Marc Delhausse
Dresseur de Torgamord : Brieuc Lemaire
Jeune fille devant Torgamord : Elisabeth Guinand
Chef d'équipe : Robert Guilmard
Zarude Ancien : Robert Guilmard
Zarude Alpha : Philippe Résimont
Zarude Sub-Alpha : Jean-Michel Vovk
Sharon : Héléna Coppejans
Maire : Vincent Dussaiwoir
Chrome : Nicolas Matthys
Narrateur : Michel Hinderyckx
Voix additionnelles :
- Michel Hinderyckx
- Fablienne Loriaux
- Frédéric Clou
- Julie Basecqz
- Delphine Chauvier
- Jean-Marc Delhausse
- Brieux Lemaire
- Elisabeth Guinand
- Philippe Résimont
- Héléna Coppejans
- Didier Colfs
- Nicolas Matthys
- Corentin Bürki
Sources :
Carton Générique