Voyage vers la Lune sort internationalement sur Netflix le 23 octobre 2020. Le long métrage dispose d'une unique version française, réalisée en France. On relèvera d'ailleurs au passage que le nom Chang'e y est prononcé "Chan-Ga", contrairement à la version anglaise qui prononce bien "Chan-Euh". Il s'agit probablement d'un choix chonétique car, sans qu'il soit particulièrement difficile à reproduire par rapport à la prononciation chinoise, son nom sonnerait bizarre pour des oreilles françaises (Chaneu, Changue...). Un choix d'adaptation ayant peut-être aussi un rapport avec le mélange d'herbes portant ce nom, le changa, qui pourrait de fait être associé aux pillules d'imortalités évoqués dans le film et qui colle donc bien au personnage.
Fei Fei est une jeune fille très heureuse entourée d'une famille aimante qui lui raconte chaque nuit de Pleine Lune la légende de l'amour éternel de Chang'e et Houyi. Malheureusement, un jour, sa mère disparait. Très affectée par cette immense perte, elle se réfugie dans ses études et les sciences. Quatre ans plus tard, lorsque son père lui présente la nouvelle femme qui va bientôt partager sa vie, le monde de Fei Fei s'écroule. Persuadé que son père a oublié sa mère, elle décide de partir sur les traces de la légendaire déesse Chang'e pour prouver à tous qu'un amour éternel ne se remplace pas. Elle met alors ses connaissances en pratique pour fabriquer une fusée spatiale qui doit la conduire droit vers la Lune...
Depuis quelques années, ce n'est plus vraiment du côté américain qu'émergent les plus grosses surprises dans le domaine de la fiction, mais du côté de l'Asie. Pour ce qui est du domaine de l'animation, exception faite du Japon qui domine la région depuis des décennies, et de l'absence presque totale de la Corée du Sud dans ce domaine alors que cela a toujours été le pays de la main d'oeuvre de nombreuses productions américaines, on assiste surtout à un réveil massif de la Chine. Avec leurs concepts spécifiques, leurs mythologies très fournies, l'exotisme aussi que l'on ressent face à eux depuis l'occident, un fort vent frais souffle sur l'animation, bouscule les acquis et donne des airs d'originalité. Ce n'est pas tout à fait vrai car, dès lors qu'on commence à s'intéresser d'un peu plus près à leurs productions, on finit par se rendre compte que des thématiques récursives pullulent dans leurs réalisations. Mais dans la masse, il y a souvent une formule qui fait mouche, ce qui nous pond un classique instantané sans crier gare. Voyage vers la Lune, bien qu'une co-production sino-américaine, s'inscrit totalement dans cette description. Il n'y a finalement rien de neuf dans la formule d'une production influencée par les mythologies chinoises, mais il y a cette petite étincelle qui fait inexorablement toute la différence. On en regrette que le long métrage en ai été réduit à une diffusion mondiale par Netflix plutôt que dans une salle de cinéma, tout en se réjouissant que tout un chacun puisse y accéder aussi facilement.
Les mythes relatifs à la Lune sont extrêmement nombreux dans le monde. Il est difficile d'éviter le plus gros astre qui domine la majorité de nos nuits, ce fantasme ultime de l'être humain pendant des millénaires jusqu'à ce que l'homme y mette les pieds pour la première fois, pour finalement s'en lasser, sans pour autant renoncer à toujours la contempler. Si du côté occidental, sans que ce soit systématique, beaucoup de légendes et mêmes d'expressions populaires sont à surtout à connotation négative quand on parle de la Lune (lycantropie, lunatique...), la Chine et l'Asie en général aiment beaucoup lui associer des thèmes principalement poétiques, même si la moralité de la plupart de ces mythes finit souvent tragiquement pour le principal protagoniste. On se souviendra par exemple de la dernière oeuvre d'Isao Takahata pour le studio Ghibli, le bouleversant Le conte de la Princesse Kaguya, qui laissait un immense sentiment d'amertume lors de la conclusion de l'intrigue. Kaguya se retrouvait prise à son propre piège, finissant par regretter, beaucoup trop tard, la décision irrévocable qu'elle avait prise et la menant droit sur la Lune, loin de ceux qu'elle aimait. Voyage vers la Lune puise également son récit dans l'un de ces nombreux contes populaires chinois relatifs à la Lune, à savoir celui relatif à Chang'e s'envole vers La Lune. Vieux de plus de 4000 ans, ce conte narre l'histoire d'une femme qui finit par boire une potion de longue vie et qui se réfugit sur la face cachée de la Lune, dont elle finit par devenir une puissante déesse mais terriblement esseulée. Les raisons pour lesquelles elle boit cette potion, tout comme la raison de son exil sur la Lune, variant ensuite d'un conte à l'autre.
Cette histoire, c'est la scénariste et productrice américaine Audrey Wells qui en a eu l'idée, en s'inspirant également de sa propre famille, son mari et sa fille, dont l'oeuvre trouve un regrettable echo, puisqu'elle est décédé avant d'avoir vu la concrétisation de son projet à l'écran. Il ne fait d'ailleurs aucun doute que ce tragique évènement a très fortement influencé Voyage vers la Lune, puisque le thème principal du film reste le deuil. Celui d'une jeune fille ayant perdue sa mère bien trop jeune, mais également vis-à-vis de son père qui réussit à refaire sa vie et la met devant le fait accompli sans avertissement préalable. Une situation qui semble assez paradoxale avec nos yeux occidentaux, mais qui semble assez courante en Asie, où les relations filiales sont généralement moins ouvertes entre les générations d'une même famille. Fei Fei se ressent de plus au plus seule alors même que sa famille est sur le point de voir doubler le nombre de ses membres, avec une nouvelle mère et un nouveau frère encombrants. Connaissant le mythe de Chang'e, dont elle retient surtout qu'un amour reste éternel, exclusif et immuable, elle voit d'un très mauvais oeil que son père puisse sembler être capable d'effacer son ancienne compagne de son coeur au profit d'une autre. Fei Fei se lance alors dans une folle idée de prouver à tous que Chang'e existe, quitte à devoir bâtir un vaisseau spatial pour y parvenir. Et en mettant de côté l'invraisemblance de la chose, la bougresse y arrive mais, arrivée là-haut, elle ne rencontre finalement pas la personne telle qu'elle pensait la connaître.
L'une des particularités de Voyage vers la Lune, c'est qu'il s'agit à la fois d'un récit fantastique, d'un récit fantaisiste et, surtout, d'un récit musical dans la droite lignée des films d'animation Disney des années 1990. Une constatation évidente que l'on se fait à soi-même tout au long du film, qui prend encore plus sens quand on se penche sur les acteurs ayant contribué à cette oeuvre. Car elle résulte de la combinaison de trois facteurs déterminants : un duo de personnes et un studio d'animation. Il y a d'abord Glen Keane, un des grands noms contemporains des studios Disney, l'un des rares à être connu même au-delà du périmètre restreint des fans. C'est l'homme qui se cache derrière de très nombreux personnages Disney qui ont instantanément rayonné dans le monde : Pocahontas, la Bête, entre autres, mais aussi Ariel et surtout Raiponce. On retrouve très fortement dans Fei Fei l'essence de ses héroïnes Disney, fortes et fragiles à la fois, qui cachent en elles une force indescriptible capable d'abattre n'importe quelle muraille et surpasser de rudes épreuves par la seule force de leur volonté. L'autre acteur de cette aventure, c'est John Kahrs. Lui, c'est un ancien animateur ayant fait ses débuts chez Pixar avant de rejoindre l'écurie Disney en participant à de grandes oeuvres dont le succès inattendu de La reine des neiges. Enfin, le dernier acteur de cette étonnante réussite est Pearl Studio. Ce studio est né à l'origine de la volonté de DreamWorks Animation de s'ouvrir au marché chinois avec Kung Fu Panda 3 dont l'animation a été réalisé à hauteur d'un tiers via la branche locale Oriental DreamWorks. Mais les déboires du studios ont tôt fait de tuer dans l'oeuf cette originalité et, des cendres fumantes de cette collaboration unique, les talents locaux ont été mis à profit pour fonder Pearl Studio dans la foulée. Devenue entité autonome, mais désormais rodée à l'exercice de combinaison des attentes occidentales et orientales, Pearl Studio s'entiche vite à s'ouvrir à l'international, contribuant ainsi à Abominable avec DreamWorks Animation de nouveau, mais également ce Voyage vers la Lune avec Netflix et Sony Pictures Imageworks.
Déjà évoqué un peu plus tôt, le long métrage se démarque beaucoup des productions asiatiques dans la mesure où il s'agit d'une grande aventure musicale. Les attentes du public comme la sensibilité des spectateurs occidentaux et asiatiques étant assez différentes, Voyage vers la Lune fait un étonnant grand écart entre les deux extrêmes, sans que le tout s'avère malheureux, bien au contraire. Le premier tiers du long métrage s'inscrit intégralement dans l'approche américaine d'une intrigue. On retrouve, que se soit en termes de tonalité, de choix musicaux, mais aussi au niveau de l'animation, tout le savoir faire de l'animation Disney des années 1990 transposée en 3D et délocalisée en Chine. On y découvre une sorte de longue introduction à dominance musicale, à la manière de La belle et la bête, qui pose le contexte et fait rapidement avancer l'intrigue. Plus loin, Fei Fei chante son désespoir et doit faire un choix, comme l'aurait fait Mulan. Dans le second tiers, quand Fei Fei débarque sur la Lune, c'est toute la mythologie asiatique qui prend le pas sur le reste. Le ton change, la forme devient bariolée, hyper colorée, festive et le registre musical change radicalement. Elle emprunte même, de manière ouvertement évidente et dévergondée, à la vague coréenne K-Pop avec son étonnante et entêtante chanson "Ultra-luminescente" qui semble sortir de nulle part, tout comme c'est aussi le cas du perturbant morceau "Hé Chin", mais qui déploient toutes deux un savoir faire visuel et sonore que n'aurait pas renié DreamWorks Animation. A ce moment-là, on ne manque pas de penser furieusement à "Fireworks" dans Madagascar 3 - Bons baisers d'Europe, comme la plupart des grandes chansons des deux volets musicaux de Les Trolls.
Dans le dernier tiers du film, enfin, Voyage vers la Lune réconcilie les deux genres, combine délicatement les deux approches et se recentre sur l'essentiel, à savoir l'aventure humaine intérieure. Et la poésie prend le pas sur tout le reste, on en oublie alors de trouver à redire à l'oeuvre dans son ensemble, à commencer par l'insupportable Gobi. D'ailleurs, l'un des éléments les plus intéressants de l'oeuvre est étroitement liée à la Grue Blanche, symbole de longévité dans les mythologies chinoises, qui ponctue le film de ses quelques apparitions et dont tout laisse à penser qu'il s'agit de Houyi réincarné. C'est lui qui, d'une certaine manière, incite Fei Fei à rencontrer Chang'e pour les mener toutes deux à faire leurs deuils, tandis que sa réapparition finale permet d'imaginer les deux amants maudits et immortels désormais apaisés, mais condamnés à toujours s'aimer à distance. Il s'agit bien évidemment ici d'une interprétation tout à fait personnelle, mais qui s'inscrit tellement bien dans la tradition des contes asiatiques du même genre que cette interprétation semble finalement très évidente, y compris l'envol final de la Grue qui semble caresser les cheveux de Fei Fei en guise de remerciement et d'adieu. L'autre interprétation possible pourrait aussi être que c'est la mère de Fei Fei, même si elle ne me convainc pas car Chang'e n'y trouve pas une place légitime. Il y a cependant un seul mystère que je n'ai pas réussi à percer dans Voyage vers la Lune, la manière dont un élément important dans le film atterrit dans les mains de Mme Zhong. Sauf s'il faut simplement y voir la tradition des offrandes, et rien d'autre de plus, car cet élément entre dans le cadre de la traditionnelle Fête annuelle de la Lune, comme c'est aussi le cas des gâteaux de Lune. L'intention de Mme Zhong envers Fei Fei en le lui transmettant, intentionnellement ou non, au-delà de la simple tentative de réconciliation, car il semble apparaître comme par magie, reste pour moi un très grand mystère.
Au final, Voyage vers la Lune est une très belle oeuvre malgré ses choix parfois incongrus qui sont faits ici et là. Le long métrage semble aussi étriqué et étouffé dans un catalogue aussi varié que celui de Netflix. A moins de savoir qu'elle existe ou avoir la curiosité d'aller l'y chercher, il semble assez difficile pour le grand public d'y tomber dessus tant les algorithmes de la plateforme semblent surtout se baser sur la popularité d'une oeuvre ou par effet de mimétisme par rapport à ses propres goûts. Voyage vers la Lune étant résolument très à part dans sa catégorie, il est regrettable de passer à côté. J'incite fortement tout un chacun à tenter l'aventure. Il y aura peut-être effectivement un gros moment de clivage durant la seconde partie du film, qui peut perturber les sens car peu conventionnelle par rapport aux standards habituels de l'animation occidentale, mais il faut simplement garder en tête que c'est un passage obligé amenant à un dénouement d'une extrême qualité. Voyage vers la Lune est au final une oeuvre très appréciable qu'il serait bien dommage de négliger.
Olivier J.H. Kosinski - 22 octobre 2021
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Doublage (France - 2020)
Fei Fei : Kaycie Chase
Chang'e : Barbara Beretta (Dialogues)
Chang'e : Jeanne Jerosme (Chant)
Chin : Simon Faliu
Baba : Elias Changuel (Dialogues)
Baba : Emmanuel Dahl (Chant)
Mama : Rachel Pignot
Gobi : Emmanuel Garijo (Dialogues)
Gobi : Rody Acevedo (Chant)
Mme Zhong : Laura Blanc
Houyi : Emmanuel Moire
Tante Ling : Léovanie Raud
Grand-Ma : Sylvie Feit
Poule Motarde : Barbara Tissier
Poulet Motard : Bruno Magne
Couple âgé :
- Arnaud Léonard
- Brenda Hervé
Voix additionnelles :
- Edwige Lemoine
- Christian Desmet
- Léovanie Raud
- Adeline Chetail
- Sylvie Feit
Solistes et choeurs :
- Karine Costa
- Marielle Hervé
- Brenda Hervé
- Georges Costa
- Oliver Constantin
- Gérôme Gallo
- Arnaud Léonard
- Camille Bertault
Sources :
Carton Générique