Les fables de Ladislas Starewitch, d'après La Fontaine est une compilation qui réunit six courts métrages réalisés par Ladislas Starewitch entre 1922 et 1932, commercialisé en DVD en France le 28 novembre 2011. Ce DVD est une des nombreuses restaurations minitieuses entreprisent par sa petite-fille Léona-Béatrice Martin-Starewitch afin de faire revivre le patrimoine de son grand-père. Deux des courts métrages de cette présente compilation (Le rat des villes et le rat des champs et Le lion devenu vieux) ont par ailleurs déjà fait l'objet d'une projection en salle en 2000, accompagnés de deux autres courts métrages non abordés ici, et regroupés sous le titre de Le monde magique de Ladislas Starewitch.
Film d'animation composé de six courts métrages préservés et restaurés dont le scénario est inspiré de cinq fables de Jean de La Fontaine réinterprétées par Ladislas Starewitch : "Le lion et le moucheron", "Le rat de ville et le rat des champs", "Les grenouilles qui demandent un roi", "La cigale et la fourmi" et "Le lion devenu vieux".
Imaginez un peu la scène : nous sommes en 1922 - c'est à dire il y a déjà un siècle en arrière ! - vous êtes seul, enfin presque car épaulé par votre femme et votre fille, et vous vous lancez dans un projet complètement fou de réaliser des courts métrages d'animation en volume inspirés par les fables de La Fontaine. Pour autant, vous n'en êtes pas à votre coup d'essai. Vous aviez déjà réalisé en solitaire un premier court métrage animé en 1911 destiné à expliquer la vie des insectes au Musée Ethnographique de Kovno en Lituanie. Pour cela vous aviez utilisé de vrais insectes naturalisés que vous aviez photographiés, patiemment, image après image, afin de former une histoire cohérente sobrement intitulé La cigale et la fourmi. Ce court métrage, précurseur du genre de l'animation en volume, fait incontestablement sensation auprès du public, d'autant plus qu'il s'octroie le privilège de devenir le tout premier film d'animation produit en Russie.
Cette histoire, qui ressemble à une fable sympathique est pourtant véridique. C'est celle d'un russe né en Pologne nommé Ladislas Starewitch qui quitta finalement sa patrie sous la révolution bolchevique de 1917 pour s'installer définitivement en France en 1921 où il va poursuivre son oeuvre jusqu'à la consécration de son premier long métrage d'animation Le roman de Renard - dont l'analyse est disponible sur le site - avant que son élan ne soit brisé par la seconde guerre mondiale et qu'il finisse, peu à peu, totalement oublié de tout un chacun. Une situation qui s'est peu à peu inversée à la fin des années 1980 quand sa fille Irène, puis sa petite-fille Léona-Béatrice, ont entrepris de réhabiliter et restaurer l'ensemble de son oeuvre. L'édition DVD Les fables de Starewitch, d'après La Fontaine s'inscrit totalement dans cette optique en réunissant cinq de ses courts métrages produits entre 1922 et 1932, que je vous propose de découvrir ici dans l'ordre de leurs réalisations et non celui adopté par le DVD.
La plus ancienne oeuvre de la compilation Les grenouilles qui demandent un roi, inspiré par la fable de Jean de La Fontaine parue en 1668, proposé en France en 1922. Originellement muet, tourné et diffusé en noir et blanc, il est ici pour la première fois proposé dans sa version couleur d'époque, résultant d'un habile traitement chimique qui consiste à teindre directement la pellicule, et accompagné d'une nouvelle bande sonore ainsi que d'une narration assurée par Léona-Béatrice Martin-Starewitch. Ecartons tout de suite la partie sonore, au mieux pesante, au pire dispensable, pour se concentrer uniquement sur le visuel. Avant de parler de l'animation en elle-même, il est particulièrement singulier de constater à quel point Ladislas Starewitch s'est efforcé de retranscrire avec une précision quasiment chirurgicale l'esthétique adopté par Gustave Doré pour ses gravures qui illustre les fables de La Fontaine. On retrouve, reproduit quasiment à l'identique, les mêmes scènes dessinées par l'artiste, au point d'y voir ici une véritable adaptation animée.
Ce qui est encore plus étonnant est la fluidité avec laquelle les grenouilles se déplacent à l'écran. Si l'on retrouve un humour typique des films muets des années 1920, il faut quand même reconnaître une certaine maîtrise de la mise en scène où le pantomime est privilégié sur tout le reste. C'est d'autant plus impressionnant que plusieurs scènes Les grenouilles qui demandent un roi nécessitent d'animer plusieurs personnages à la fois. Certes, cela n'arrive pas tout le temps, puisque c'est principalement un seul protagoniste qui gesticule. Mais tout de même, Ladislas Starewitch ne tombe dans aucun piège de l'animation en volume, qui plus est en sachant que la majorité de ses créations sont faites de façon totalement artisanales. Encore plus remarquable, Ladislas Starewitch mélange également des animations traditionnelles à la main et des "effets spéciaux" (si on peut les nommer ainsi puisqu'il s'agit juste d'utiliser un aquarium) relativement ingénieux lorsque les grenouilles plongent au fond de l'eau.
Le second court métrage de la compilation s'intitule Le rat de ville et le rat des champs, il date de 1926. Il est présenté de la même façon que le précédent, à savoir dans sa version couleur d'époque complétée par une bande sonore inédite. Là encore, on oubliera cette dernière qui se révèle tout aussi peu convaincante qu'auparavant pour ne s'intéresser qu'à la partie visible. Comme l'indique le carton qui ouvre le court métrage, Le rat de ville et le rat des champs est une version modernisée du récit de La Fontaine qui délaisse le côté respectueux du court métrage précédent pour choisir un format de narration très proche du style d'un film de Charlie Chaplin, voire un humour cartoon dans l'esprit d'un Laurel et Hardy.
Cette fois Ladislas Starewitch combine l'animation en volume avec des prises de vue réelles, en l'occurrence un véritable chaton qui va jouer les troubles-fêtes, et la projection de courtes séquences filmées pour faire croire que les rats vivent dans le même monde que nous. La combinaison est relativement heureuse dans les grandes lignes, d'autant que la mise en scène à recours à des astuces filmiques bien antérieures à leur utilisation moderne, comme ces amusants plans resserrés façon cinémascope. A contrario, si ce court métrage s'avère plus énergique et plus rythmé que son prédécesseur, l'animation est un peu plus brouillonne. Mais il s'agit sans nul doute d'une limitation technique de son époque. Incapable de produire des plans très rapides, Ladislas Starewitch recours à des effets de flous pour simuler le réalisme qui rendent cependant la lisibilité du court métrage moins appréciable.
Le troisième court métrage de la compilation est une version actualisée d'une fable déjà adaptée en 1911, La cigale et la fourmi proposé en 1926. Là encore, le même choix artistique de la compilation est adopté pour ce court métrage avec la version couleur d'époque résultant d'une coloration, bicolore cette fois, de la pellicule et une bande sonore inédite. Cette fois cependant, la bande son est moins pesante, même si elle reste encore très accessoire dans La cigale et la fourmi. Ce qui frappe par contre, c'est l'impressionnante familiarité qui naît à la vision de ce court métrage de Ladislas Starewitch si l'on est un amateur des films du studio Pixar. Incroyable mais vrai, avec plus de sept décennies d'écart, il est absolument troublant de voir certains choix esthétiques reproduit, quasiment à l'identique, dans 1001 Pattes.
On retrouve par exemple la même scène de cueillette, celle du bar à sauterelle, certains personnages vaguement familiers (Tilt et sa brouette, Lilipuce, Fil, Marcel) tout comme le siège royal de la Princesse Atta. Tellement incroyable que je soupçonne désormais que John Lasseter et ses équipes ont puisées quelques unes de leurs idées dans ce court métrage. Ceci mis à part, Ladislas Starewitch recours cette fois à plusieurs subterfuges pour faire croire à une grande population de fourmi, usant par exemple de plusieurs petits miroirs pour multiplier les personnages à l'écran. Certes, les spectateurs modernes que nous sommes ne sont pas dupes et voient tout de suite l'imposture. Il n'empêche, l'effet est globalement réussi car il permet de donner vie aussi bien au premier plan qu'à l'arrière plan. Paradoxalement, Ladislas Starewitch rallonge artificiellement son récit et, pour cela, réutilise plusieurs fois des plans identiques. C'est dommage, car cela casse un peu le rythme de l'intrigue.
Les deux derniers courts métrages de 1932, qui ouvrent et clôturent la compilation, mettent en vedette le même "lion acteur", mais dans deux histoires différentes : Le lion et le moucheron d'abord et Le lion devenu vieux ensuite. Les deux histoires sont proposées dans leur format noir et blanc et, plus intéressant, avec leur bande son d'origine, la première comportant cependant un narrateur contrairement à la seconde. Les dix années qui séparent la parution du premier court métrage présent dans la compilation sont ici clairement visibles. Parmi les changement notables, selon l'importance de la scène ou le cadrage souhaité, les deux courts métrages multiplient les mêmes lieux et personnages, mais à différentes échelles. Ladislas Starewitch fait donc un bond en avant en terme d'accessoires et d'effet spéciaux, comme l'utilisation assez réaliste des différents tissus pour simuler le déplacement de l'air. Evidemment, on notera quelques ratés que nos yeux modernes ne manqueront pas de remarquer, à l'image du moustique suspendu sur des fils bien visibles. Malgré tout, la force du récit l'emporte sur la forme, plus particulièrement dans Le lion devenu vieux où l'on assiste avec plein de subtilité à la déchéance d'un roi épuisé par l'âge, rejeté par tous et qui se remémore avec regret son ancienne vie amoureuse.
Alors que Les fables de Starewitch, d'après La Fontaine s'achève sur cette dernière oeuvre fortement mélancolique, la compilation a la bonne idée d'insérer à la toute fin un dernier court métrage d'époque qui révèle les secrets de fabrication des ciné-marionnettes, comme ils sont nommés dans le texte, tourné par Ladislas Starewitch qui se met ici en scène avec sa fille Irène. On y apprend notamment le principe, inchangé en un siècle, qui consiste à prendre 24 image pour obtenir une seconde de métrage, à raison de seulement 6 secondes tournées par jour, pour un total de 26 000 nécessaire à composer chacun des deux courts métrages de 1932. Autant de techniques qui sont toujours utilisées de nos jours sans qu'il n'y ai finalement jamais eu de véritable innovation dans le domaine. La technologie numérique n'ayant apporté qu'une esthétique plus subtile et moins mécanique en fin de compte, tout en permettant de masquer ce qu'il n'était pas possible un siècle plus tôt. Mais quand Les fables de Starewitch, d'après La Fontaine se terminent, on se rend finalement compte que, quelle que soit l'époque, un tant soit peu de talent et quelques bonnes idées pour contourner les limitations techniques, on parvient quand même à rendre une histoire animée fascinante.
Olivier J.H. Kosinski - 01 février 2018
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