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Le roman de renard

Ayant connu de nombreux déboires avant d'être diffusé en France le premier, et unique, long métrage de Stanislas Starewitch est d'abord connu sous le titre de Le roman de Renart pour sa version initiale qui devait sortir en salle en 1931. Le long métrage fait cependant un détour par l'Allemagne où il est modifié et présenté sous le titre de Reineke Fuchs le 3 octobre 1937. Encore une fois modifié, il finit enfin par sortir en salle en France le 10 avril 1941 sous son titre définitif Le roman de Renard. Dans tous les cas, il s'agit d'une adaptation des contes médiévaux du même nom.

Des trois versions, la première de 1931 est aujourd'hui considérée comme perdue, même s'il subsiste quelques traces, des négatifs incomplets et le scénario écrit par Irène Starewitch. La version allemande de 1937 a été retrouvée en Pologne, pays qui n'a cependant pas accepté de fournir le négatif original à la famille de Ladislas Starewitch pour permettre une restauration digne de ce nom, tandis que la version française de 1941 a été restaurée à plusieurs reprises entre 1989 et 2014. Les deux versions de 1937 et 1941 sont proposées sur un même DVD distribué par Doriane Films et commercialisé en 2016.

L'intrigue

Dans le monde animal règne la loi du plus fort jusqu'au jour où le roi Lion décide que les animaux ne se mangeront plus les uns les autres. Mais Renard, carnivore, ne peut se soumettre à cet édit et très vite les plaintes s'accumulent auprès du roi. Après de nombreuses ruses et duperies, Renard est amené à la cour où il est jugé et condamné à mort. Cependant, de façon habile pour être libéré, il sème le doute à la cour et accuse les plus proches conseillers du roi de complot.

Analyse de l'oeuvre

Tout récemment, nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer quelques courts métrages de Ladislas Starewitch dans une analyse dédiée que je vous conseille d'aller lire avant de vous lancer dans la découverte de son premier, et unique, long métrage d'animation Le roman de Renard. Projet initié dès mars 1929 par la volonté même de l'artiste, et dont la réalisation va prendre plus d'une année, le long métrage va pourtant rencontrer de grosses difficultés repoussant sans cesse sa diffusion au grand public. Alors que la conception visuelle est achevée dès 1930, la production de la bande sonore connaît d'importantes difficultés inhérentes au tout début du parlant au cinéma à cette époque. La fin des années 1920 est en effet une période charnière, où le cinéma muet péréclite inexorablement face à l'essort du cinéma parlant. Stanislas Starewitch s'intéresse pourtant à cette nouvelle technologie. Dès février 1929, il décide ainsi de proposer une trame sonore à son moyen métrage La Petite Parade déjà sorti en salle au format muet. En six semaines, la composition de cette bande sonore est terminée, elle est alors portée sur plusieurs disques vinyles et diffusée en simultanée durant la projection du moyen métrage. Si l'on peut raisonnablement trouver ce principe ubuesque un siècle plus tard, il faut garder en tête que la pellicule couplant image et son n'est pas à la portée de toutes les bourses à cette époque, si tant est qu'on ne puisse pas qualifier cette technologie nouvelle comme encore balbutiante. Louis Nalpas, son producteur, approuve l'idée et c'est tout confiant que Stanislas Starewitch se lance dans son projet de long métrage. Mais les embûches vont continuellement se mettre en travers de Le roman de Renard.

Bien que satisfait par la sonorisation de La Petite Parade, originellement conçu comme un moyen métrage entièrement muet, Stanislas Starewitch reste toutefois convaincu que sa méthode de travail doit changer. A la différence de ce moyen métrage, Le roman de Renart (qui porte alors un "T" comme les contes médiévaux, puisque c'est le nom propre du personnage) est dès le départ élaboré dans l'intention d'être un film d'animation sonore. Pour autant, c'est exactement la même équipe restreinte qui va s'activer autour du projet, à savoir l'auteur lui-même qui se charge de la conception des marionnettes, sa femme Anna qui s'occupe de la conception des costumes, sa première fille Irène au scénario et sa seconde fille Jeanne en tant qu'assistante de réalisation. La famille au complet s'occupe ainsi de maîtriser tous les aspects du projet, d'une façon purement artisanale, à la seule exception de la bande originale composée par Michel Lévine, grand compositeur russe de musiques de films de son époque.

En février 1931, la conception visuelle du film est terminée, Le roman de Renart est alors destinée à devenir à la fois le premier film d'animation sonore et en volume de l'histoire (titre prestigieux qu'il se fait malheureusement ravir par un film russe à cause de ses retards cumulés) et, par la même occasion, le premier film d'animation français (titre honorifique qu'il conserve toujours aujourd'hui). Alors que Louis Nalpas avait fait totalement confiance à Stanislas Starewitch auparavant, il refuse cette fois de distribuer et, surtout, de sonoriser le long métrage. Confiant dans l'évolution technologique, Stanislas Starewitch souhaite en effet combiner à la fois le son et l'image sur une seule et même pellicule. Louis Nalpas, lui, préfère recourir à la diffusion sur disque qu'il maîtrise. Il finit pourtant par jeter l'éponge devant le coût trop élevé de recourir à un autre procédé. Dans le même temps, la bande originale de Michel Lévine passe à la trappe.

Alors que Stanislas Starewitch espère beaucoup du nouvel essor technologique, Louis Nalpas est complètement débordé par la révolution du cinéma parlant. L'avenir de Le roman de Renart semble alors totalement figé. Tel un acte manqué, alors que le long métrage aurait tout aussi pu sortir en salle en version sonorisé dès 1931 si quelqu'un lui avait laissé une toute petite chance, au moins financière, la situation du long métrage est compromise durant cinq longues années. Même si les deux hommes restent en bons termes, il faut quatre années pour que Stanislas Starewitch récupère l'intégralité des droits sur son long métrage dont il cherche désormais à le sonoriser par ses propres moyens. Il lui faut encore attendre une année de plus, en octobre 1936, pour qu'il signe un accord de droits et de distribution avec la société allemande UFA pour le territoire allemand. Mais les déboires autour de Le roman de Renart sont loin d'être terminés.

L'allemagne nazie n'est pas très satisfaite du montage originel voulu par son auteur et demande expressément à Ladislas de revoir le contenu de son film. Sa femme Anna et lui séjournent alors en Berlin en début d'année 1937 pour modifier Le roman de Renart, en déplaçant certaines séquences (notamment celle du combat de Renard qui se trouve présenté comme un rêve au milieu du film dans la version française, alors qu'elle sert de séquence finale dans la version allemande) et en tournant de nouvelles scènes (à l'image de l'introduction du film qui se déroule sur la couverture du livre de conte, avant de s'ouvrir façon Disney). C'est ensuite Julius Kopsch qui est appelé pour composer la nouvelle bande originale. Rebaptisé Reineke Fuchs, le long métrage sort en salle le 3 octobre 1937, découpés en deux parties distinctes et contenant un intermède, mais, les tensions politiques étant ce qu'elles sont en cette période troublée, Ladislas Starewitch décline et n'assiste même pas à la première de son premier long métrage enfin sonorisé. Revenu en France, il s'imagine pouvoir enfin sortir Le roman de Renart tel qu'il l'avait désiré, mais il se fait à son tour rattraper par la seconde guerre mondiale.

Alors que Ladislas Starewitch parvient tout juste à signer un accord la société Paris Cinéma Location dirigée par Roger Richebé, pour une diffusion en salle en France, la guerre éclate. Le destin de Le roman de Renard, qui porte un "D" désormais conformément à l'espèce du protagoniste passé dans le langage courant, semble de nouveau bien sombre. Qu'à cela ne tienne, Ladislas Starewitch continue à croire à son travail et s'attelle au remontage du film tel qu'il l'avait souhaité au départ. Mais les mobilisations compromettent inexorablement le travail et, durant la même période trouble, la société Paris Cinéma Location dépouille peu à peu la vision de l'auteur, conformément aux termes de l'accord passé entre les deux parties qui garantissent que Roger Richebé puisse avoir le dernier mot sur le montage final, alors même que celui-ci est pourtant censé respecter l'intention initiale de Ladislas Starewitch. Après des mois de tergiversation, c'est sa fille Irène qui va directement alerter l'Association des Auteurs de Films de la tournure que prend la réalisation française du long métrage.

Les tensions apaisées, Le roman de Renard, dans son montage final désormais accompagné d'une nouvelle bande originale composée par Vincent Scotto et la direction d'orchestre de Michel Legrand, est enfin parachevé en avril 1940. A deux doigts d'être enfin présenté au public, Le roman de Renard connaît pourtant encore un nouveau revers : l'invasion allemande de la France le 10 mai 1940. A la suite de cela, tous les cinémas parisiens sont fermés et l'avenir de Le roman de Renard est de nouveau tué dans l'oeuf. Ce n'est que le 10 avril 1941 au cinéma César à Paris que le film est enfin projeté devant un public français, dix ans exactement après que le premier montage fut terminé par Ladislas Starewitch. Le long métrage aura ainsi connu trois versions différentes : Le roman de Renart de 1931 aujourd'hui disparue, Reineke Fuchs de 1937 proposée en Allemagne, et Le roman de Renard de 1941 diffusée en France.

J'ai eu le plaisir de découvrir ces deux dernières versions, que pourrais-je vous en dire d'autre sans vous assommer d'encore plus d'informations ? Et bien, il faut reconnaître que l'histoire du film est tout aussi trépidante que les innombrables entourloupes de Renart lui-même. Mais il faut tout de même admettre que Le roman de Renard n'a pas du tout la même portée émotionnelle qu'un Blanche-Neige et les sept nains, contemporain, et pourtant supérieur sur tous les points au long métrage de Stanislas Starewitch. Dans le même temps, période troublée en tant de guerre, les ambitions de l'auteur de se voir briller en haut de l'affiche fondent comme neige au soleil. Avec le temps, et le peu de ressortis de Le roman de Renard en salle, le premier long métrage d'animation français disparaît progressivement de la mémoire collective, au point de finir, à l'image de l'intégralité des oeuvres de Stanislas Starewitch, complètement oubliées jusqu'à la fin des années 1980 lorsque sa fille Irène, puis sa petite fille Léona-Béatrice Martin-Starewitch décideront de réhabiliter l'ensemble de son oeuvre.

Pour autant, Le roman de Renard n'est aujourd'hui pas foncièrement dénué d'intérêt. Par exemple, on y retrouve exactement la même ambiance que dans les courts métrages précédents de Stanislas Starewitch. Il ajoute également quelques effets spéciaux intelligents qui simulent la matérialisation des pensées de Renart comme cette scène où il est enfermé dans un chariot plein de poissons et se demande s'il ne devrait pas en laisser quelques uns pour ses enfants, cet instant où le chat voit trente-six étoiles (fautes de chandelles) ou encore ce moment où Renart imagine un ours devenir roi à la place du roi, nous voyons alors apparaître à l'écran cette couronne comme par enchantement. Il faut également saluer le fondu enchainé entre certaines scènes, qui n'était pas une évidence en 1929. Par ailleurs d'autres astuces amusantes sont utilisées, notamment pour simuler l'eau qui coule, à partir d'une roue et de papier cellophane. On constatera d'ailleurs un raté à ce sujet, puisque selon la perspective de la scène en question, l'eau semble étonnamment aller à l'encontre de la gravité.

En dehors de leur montage, la différence la plus flagrante entre Reineke Fuchs et Le roman de Renard provient des choix opérés pour la composition de la bande originale. Même si dans les grandes lignes, la musique des deux versions compte quelques points communs dans les airs entendus, la version allemande préfère choisir les grands airs du théâtre et, surtout, de l'opéra. A un moment donné, le roi envoie Tibert, le chat mélomane, tenter d'arrêter Renart. Ce dernier le piège, en retournant sa passion contre lui, en se livrant à un succulent duo lyrique en compagnie d'une souris sur un grand air bien connu. Ce qui est normal d'ailleurs puisque la musique fut jouée par l'orchestre symphonique de l'Urania. Cette même scène existe aussi dans la version française mais elle est définitivement bien moins percutante, d'autant plus que Tibert s'incruste dans la chanson avec ses miaulements rocailleux. A contrario, la version française brille par la sérénade de ce même chat (Tu sais bien que je t'aime.... miaou, miaou... mon coeur n'est pas bohème... miaou, miaou...), chantée au balcon de la Reine sous une nuit de pleine Lune, qui constitue sans nul doute possible la chanson la plus entêtante de tout le film ! A l'image de ce qui arrive à la première écoute des grandes chansons de Blanche-Neige et les sept nains, la chanson de Tibert reste immédiatement inoubliable. Le moment le plus mémorable de la version française sans aucun doute.

Concernant le scénario, dans les grandes lignes, Reineke Fuchs et Le roman de Renard se valent puisqu'il est surtout question de petites scénettes mettant en scène les entourloupes de Renart face à tous ceux qui tentent, en vain, de le capturer. Renart est incontestablement un renard des plus rusés, capable de concocter toutes sortes de roublardises insensées pour piéger ses pauvres victimes trop fières d'elles pour reconnaître leur infériorité tactique contre lui. Il est également très retors puisqu'il n'hésite pas une seconde à détourner l'attention de ses méfaits pour les attribuer à d'autres, principalement à ce pauvre Loup qui n'avait rien demandé. Et quand il finit par être capturé par le Roi, il retourne immédiatement la situation à son avantage, dupant à son tour la tête couronnée qui a décidément bien peu de cervelle, à l'image de tous les membres de son royaume. Il n'en faut guère plus pour déclencher un affrontement épique dans la dernière partie du film, où toute la famille Renart s'échine à repousser l'assaut des troupes du roi.

Le château étant truffé de mécanismes en tout genre, les assaillants sont maltraités à chaque instant, incapables de parer aux stratégies de Renart et ses machineries rodées comme une horloge suisse. Une séquence amusante qui rappelle, par moment, les pitreries de Charlie Chaplin dans Les temps modernes. A partir de là, Reineke Fuchs et Le roman de Renard varient dans leur conclusion respectives. Alors que dans la version française le Roi se résigne face à la roublardise de Renart en décidant d'en faire son conseiller plutôt que son ennemi, la version allemande préfère présenter un complot ourdi par le loup qui tente de s'accaparer la couronne. Renart est alors soumis à une ordalie d'où il sort vainqueur en étant alors récompensé pour son courage d'avoir sauvé son Roi. Les spécialistes s'accordent à faire le parallèle entre la conclusion de Reineke Fuchs avec le régime nazie et la conclusion de Le roman de Renard avec celui de Vichy. Il est vrai que l'on ne peut pas vraiment nier la chose une fois que celle-ci a été dite.

Près d'un siècle plus tard, Le roman de Renard reste une oeuvre forcément perfectible à mille lieux de ce que proposa Walt Disney avec Blanche-Neige et les sept nains qui, malgré son grand âge, fonctionne toujours aussi bien aujourd'hui. Le long métrage de Ladislas Starewitch n'a pas du tout la même portée scénaristique, mais il reste pourtant le témoignage d'une époque où tout était encore à construire et tout était encore à apprendre. Malgré tout, Le roman de Renard reste une oeuvre patrimoniale d'importance, particulièrement parce qu'il peut s'enorgueillir d'être le tout premier long métrage d'animation français, et vaut surtout d'être connu pour ses innombrables déboires, franchit un à un, par la volonté de Ladislas Starewitch qui n'en tirera cependant aucune gloire, la seconde guerre mondiale lui ayant coupé l'herbe sous le pied. Le long métrage reste cependant insolite dans son approche, agréable dans ses astuces, malicieux dans les entourloupes de Renart. Et puis il compte une chanson mémorable qui n'a cessé de rester captive dans mon esprit durant tout le temps où ont été écrites ses lignes. Ce soir au clair de lune... miaou, miaou... dans l'ivresse commune... miaou, miaou... je veux le crier sur les toits... je n'aime que toi !

N.B. : Une grande partie de cette analyse, notamment dans le déroulé des évènements énumérés, repose sur l'importante documentation réunie par Léona Béatrice Martin-Starewitch, petite-fille de Ladislas Starewitch, mise en forme par François Martin et consultable sur leur site officiel Starewitch.fr.

Olivier J.H. Kosinski - 15 février 2019

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