Kaena - La prophétie est souvent considéré, à tort, comme le premier long métrage français entièrement réalisé en 3D. En réalité, il s'agit de la toute première coproduction franco-canadienne de ce type, dont les deux tiers du film ont été animé au Canada. Après une conception tumultueuse, le film sort le 4 juin 2003 en France, dans la quasi-indifférence générale. Bien qu'en partie conçu au Canada, le film ne sort pas dans la province québécoise, où il n'est d'ailleurs pas non plus disponible à la vente en version française (ni doublage, ni sous-titrage).
Axis, le monde-arbre, est en danger de mort. Sa sève s'épuise et c'est en vain que son peuple implore les dieux. Habitée par d'étranges visions, Kaena est persuadée qu'Axis l'appelle à son secours. Jeune fille au caractère rebelle, elle brave les tabous de sa tribu et l'autorité du grand prêtre. Elle se lance dans un périlleux voyage jusqu'aux racines d'Axis, aidée par une mystérieuse créature venue d'un autre monde. L'effrayante vérité que Kaena découvrira au bout de sa quête la laissera à jamais profondément changée...
Tout commence autour de l'année 1996. Après avoir été l'un des responsables de la conception graphique du jeu-vidéo Heart of Darkness, Chris Delaporte quitte finalement Amazing Studio pour lequel il travaillait depuis 1993. Celui-ci a une idée en tête, réaliser à son tour un jeu-vidéo dont le titre serait Gaïna. Il s'associe alors avec Patrick Daher, lui aussi un ancien employé du même studio, et commence à prospecter des studios numériques parisiens dans l'espoir que son jeu-vidéo voit le jour. Ils finissent par s'associer avec la jeune société Chaman Production basée à Neuilly. La production du titre commence et en 1997 une première démo jouable est réalisée. Celle-ci est par ailleurs accompagnée d'une cinématique en 3D qui impressionne beaucoup l'assemblée à laquelle elle est présentée, particulièrement Studio Canal qui accepte d'être associé au projet. Le concept originel du jeu-vidéo se transforme finalement en celui d'un projet de long métrage, Kaena - La prophétie, qui allait être amené à porter le titre ronflant de tout premier film 3D français même si, en réalité, près des deux-tiers de l'animation est réalisée au Canada. L'idée du jeu-vidéo n'est cependant pas écartée pour autant, elle est simplement transformée en une sorte d'univers étendu qui serait complémentaire au film.
Nous sommes maintenant en 2002, alors que la production de Kaena - La prophétie bat son plein et qu'une grande partie de l'animation du long métrage est déjà réalisée, Chaman Production connaît de lourds problèmes financiers. Son inexpérience en matière de réalisation de long métrage, plus largement dans toute production animée, lui est fortement préjudiciable. A tel point que l'enthousiasme des débuts fait place à une morosité générale chez tous les acteurs impliqués dans le long métrage. La fin de non recevoir semble inévitable, Chaman Production est obligé de déposer le bilan alors que la production du long métrage est pourtant fortement avancée. Contre toute attente, tandis que plusieurs investisseurs renoncent un par un à racheter le studio et poursuivre la production de Kaena - La prophétie, un seul d'entre eux va proposer une solution de rachat : Xilam. Le pari est pourtant risqué. D'un côté, il manque près de 6 millions d'euros pour boucler à la fois le film et son jeu dérivé (qui sort sur Playstation 2 en 2004). De l'autre, Xilam est déjà en pleine production de son premier long métrage, Les Zinzins de l'espace co-réalisé par la société Action Synthèse. Ce dernier ne verra finalement jamais le jour, laissant alors le champ libre à Kaena - La prophétie.
Au delà de cette conception globalement chaotique, Kaena - La prophétie surprend dans ses thématiques proches de nombreux films sortis avant lui, même si le réalisateur Chris Delaporte se défend d'avoir été influencé par ces derniers. Déjà, rien que le nom du jeu originel, Gaïna, évoque inévitablement le film Final Fantasy - Les créatures de l'esprit sorti en salle deux ans plus tôt. On y retrouve de nombreux points communs, comme cette race alien invasive à l'origine d'un conflit de territoire, ainsi que le rêve prémonitoire. On trouve aussi de nombreuses similitudes avec l'univers à tendance écologique conçu par Hayao Miyazaki, plus particulièrement avec Le château dans le ciel au travers de l'arbre gigantesque Axis. Plus étonnant encore, si tant est qu'on n'ait découvert le long métrage que sur le tard, l'intrigue du long métrage rappelle aussi furieusement des moments clés de Final Fantasy XIII. Bref, Kaena - La prophétie semble très fortement influencée par des inspirations clairement japonaises. Il n'empêche, si les emprunts, volontaires ou non, à l'industrie animée du pays du soleil levant sont agréables sur la forme, il faut avouer que Kaena - La prophétie est un long métrage particulièrement confus.
Même si Kaena - La prophétie commence son intrigue quelque part dans l'espace, le long métrage est cependant bien plus proche de la fantasy que de la science-fiction. En soit, il est une vrai antithèse à Final Fantasy - Les créatures de l'esprit qui se voulait fantasy d'après son nom mais n'était juste qu'un énième film de science-fiction. Dans les très grandes lignes, Kaena - La prophétie se rapproche en réalité le plus de Nausicaa de la vallée du vent. Nausicaa et Kaena partagent le fait d'être des élues de leur peuple, celle qui s'opposent aux connaissances acquises et par lesquelles le changement est en marche. Cependant, Kaena va beaucoup plus loin dans la découverte de ses origines, rencontrant littéralement ses créateurs et découvrant, bon-gré mal-gré, qu'ils sont loin d'être omniscients. Une partie de ses acquis va s'écrouler, d'autant que ses créateurs vont se décider à remettre en cause la place de son peuple, quitte à détruire définitivement leur habitat. Jugée renégate, Kaena va devoir tout mettre en oeuvre pour prouver à ses semblables qu'une meilleure vie s'offre à eux dans une nouvelle terre d'accueil qui les attend.
Malgré les évidentes preuves d'un travail technique soigné, et une première prouesse 3D franco-canadienne, Kaena - La prophétie est visuellement un long métrage extrêmement austère. Par soucis de cohérence visuelle, sans doute pour donner un cachet unique au long métrage, celui-ci ne propose en tout et pour tout que deux uniques couleurs dominantes : le sépia pour presque l'intégralité du film et quelques rares touches de bleu. Visuellement, Kaena - La prophétie est pénalisé par ce choix censé être audacieux, mais où les contours et les limites entre décors et personnages sont difficilement discernables. Tout le contraire de Renaissance, par exemple, où la bichromie prend une vrai forme artistique. Kaena - La prophétie souffre également d'un manque flagrant d'empathie pour ses personnages. A l'exception de Kaena, dans une certaine mesure tout du moins, aucun autre personnage du film n'arrive à attirer la sympathie. On ne retient d'ailleurs aucun de leurs noms, si ce n'est les stéréotypes dans lesquels ils sont enfermés. Il faut dire qu'aucun d'entre eux n'a le moindre charisme, disons même qu'ils sont carrément moches, comme s'ils avaient été animés à la va-vite, au détriment de la seule Kaena, artistiquement réussie. Le constat est le même concernant la bande originale, qui n'a aucune réelle saveur, ne semblant même pas être présente pendant le déroulé du film. On saluera tout juste la qualité du doublage français qui fait appel à de grandes et belles voix.
Aujourd'hui, le pari fou de Xilam de reprendre et mener à terme Kaena - La prophétie, dans lequel il voyait un énorme potentiel, est-il toujours justifié et justifiable ? Difficile à dire. Si l'on s'en tient aux critiques acerbes de la presse mondiale à l'encontre du film, il est évident que non (la presse française ayant été plus conciliante vis-à-vis de ses origines "françaises"). Si l'on s'en tient au public, c'est difficile d'en juger puisque le long métrage est tellement passé inaperçu qu'il a fait un flop historique en salle. Si l'on s'en tient aux diffusions télévisées, Kaena - La prophétie a rarement eu le privilège d'être diffusé en première partie du soirée, tant son univers visuel, limite horrifique, a souvent fait hésiter les chaînes de télévisions françaises qui ont toutes préfèrées le reléguer en deuxième, voire troisième partie de soirée (c'était le choix de Gulli en décembre 2016). Dans tous les cas de figure, Kaena - La prophétie reste un film incontestablement compliqué à aborder. Trop ésotérique, trop alambiqué, et paradoxalement trop prévisible, il n'arrive même pas à se révéler sympathique. On ne peut donc l'aborder que comme une première tentative manquée franco-canadienne dans l'animation 3D, mais sans avoir le budget ni l'expertise d'un vieillissant, mais toujours attachant, premier Toy Story.
Olivier J.H. Kosinski - 08 septembre 2017
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Doublage (France - 2003)
Kaena : Cécile de France
Opaz : Michael Lonsdale
Le prêtre : Jean Piat
Gommi : Raymond Aquaviva
Assad : Jean-Michel Farcy
Reine Sélénite : Victoria Abril
Chambellan Voxem : François Siener
Enod : Marc Alfos
Zahn : Adrien Antoine
Lay : Théo Gabel
Ipo : André Chaumeau
Kay : Christian Chevillon
Sources :
Planète Jeunesse