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Filmax Animation
Gisaku

Gisaku sort directement en DVD en France le 03 octobre 2007, plus de deux ans après son avant première mondiale à l'exposition internationale spécialisée d'Aichi de 2005 au Japon, et un an après sa diffusion en Espagne. Sa disponibilité au Québec est actuellement inconnue. Fait particulièrement inhabituel pour un film d'animation, Gisaku a été produit simultanément en trois langues, en castillan dont toutes les autres versions espagnoles sont dérivées (Galicien et Catalan notamment), en anglais dont toutes les versions internationales sont basées (comme la version française) et en japonais.

L'intrigue

Quelque part en Espagne, un samouraï attend patiemment de remplir la mission qu'on lui a confiée il y a longtemps de cela : protéger du mal la clé d'Izanagi. Cette clé composée de puissantes pièces, ferme une porte qui donne accès au seuil du monde. Gorkan, seigneur des Ombres, a prévu d'envahir le monde avec ses hordes de démons...

Analyse de l'oeuvre

A ses origines, Filmax Animation est vraisemblablement né, comme une grande partie de ses confrères européens de la même époque, de la fermeture du département animation de Disney en France. Pour autant, le studio espagnol a été celui dont la filiation a toujours été la plus évidente. Leur première excellente production, La légende du Cid en 2004, reprenait assez fidèlement la plupart des codes narratifs du géant américain. Pour autant, Filmax Animation a également été le studio européen qui s'en démarquait le plus de part ses choix graphiques très radicaux. La physionomie des héros de La légende du Cid est, par exemple, particulièrement déstabilisante au premier abord, même si on se laisse assez vite happer par l'intrigue au point de l'oublier. Pour leur troisième film en 2D produit en 2007, Nocturna, la nuit magique, c'est à peu près le même constat qui s'impose, mais dans un registre plus poétique. Entre les deux, Gisaku est un long métrage fortement énigmatique à aborder. Pas tout à fait un film espagnol, pas tout à fait un film japonais, pas tout à fait en 2D, mais pas tout à fait en 3D non plus, le long métrage mêle des styles très variés pour raconter une histoire qui aurait vraiment méritée d'être prolongée, soit en proposant une durée un peu plus longue pour mieux la développer, soit en lui octroyant une suite qui en aurait prolongé sa mythologie. Mais j'y reviendrai.

Gisaku est un projet surprenant qui est né autour d'un double défi pour Filmax Animation. D'un côté, il était amené à devenir la toute première collaboration européano-japonaise autour d'un long métrage animé. Si les collaborations avec le Japon ont été très nombreuses en Europe, elles se sont généralement toutes portées sur des séries télévisées dès les années 1980, par exemple pour Les mystérieuses cités d'or en France ou le célèbre Sherlock Holmes avec l'Italie, mais jamais jusqu'alors sur un long métrage. De l'autre, Filmax Animation a également décidé de réaliser un long métrage qui devrait à tout prix représenter l'Espagne, et ses relations amicales avec le Japon, avec en ligne de mire l'exposition internationale spécialisée de 2005 à Aichi (Japon) et dont le thème était « La sagesse de la nature ». On retrouve cette thématique tout au long du film, servant d'ailleurs pleinement à la résolution du climax de l'intrigue, tout comme nous avons le sentiment de faire un grand voyage touristique parmi les endroits les plus emblématiques d'Espagne, de Séville à Barcelone, en passant par Madrid. Encore fallait-il relier le tout autour d'une histoire potable. Pour y parvenir, le studio d'animation espagnol est allé puiser son idée de base à un véritable évènement historique : celui qui met en scène le samouraï Hasekura Tsunenaga.

Au 17e siècle, la couronne d'Espagne souhaite faire commerce avec le Japon et, accessoirement, y répandre la foi chrétienne. En 1613, une délégation japonaise, dirigée par Hasekura Tsunenaga prend la mer en direction de la Nouvelle-Espagne (aujourd'hui les Etats-Unis) puis vers le vieux continent, avec l'espoir de déboucher sur un accord de relation amicale et commerciale entre l'Espagne et le Japon. Le périple de cette longue ambassade japonaise va durer sept années, durant lesquelles Hasekura Tsunenaga va traverser la Nouvelle-Espagne puis l'Espagne, établir ensuite le premier contact connu entre la France et le Japon, en cause du mauvais temps en mer l'obligeant à faire halte à Saint Tropez où sa délégation fait forte impression, puis il termine son périple au Vatican en rencontrant le Pape Paul V en 1615. La même année, le samouraï se converti d'ailleurs au christianisme avant de reprendre le trajet inverse pour retourner dans son pays natal. Malheureusement pour lui, durant les sept longues années de son périple, le Japon a énormément changé. Le christianisme y est désormais totalement banni et sévèrement réprouvé par les autorités. Dans le même temps, ayant vent des tumultes de l'autre côté de la planète, l'Espagne rompt toute relation avec le Japon. A peine un an plus tard, le samouraï reconverti finit par s'éteindre, tandis que l'Histoire du Japon se chargera d'effacer soigneusement jusqu'à son existence même durant plus de deux siècles.

Pour Gisaku, Filmax Animation ne conserve finalement que le contexte de ce voyage diplomatique. Le studio d'animation espagnol choisit en effet de développer une intrigue complètement fantastique sans réel rapport avec les faits historiques, si ce n'est de justifier la présence d'un japonais en Espagne. Car l'intrigue de Gisaku se déroule sur deux époques, reliées entre elles par le personnage de Yohei, un simple membre de la délégation japonaise dont le destin va surtout s'avérer être une variation animée de Connor MacLeod de la franchise Highlander. Sans être tout à fait immortel (ni question de couper des têtes), après avoir été témoin de l'ouverture d'une faille spatio-temporelle d'où s'échappe une entité démoniaque, le samouraï Yohei est en effet plongé dans un long sommeil où son existence se trouve complètement figée, ce qui lui permet de traverser les époques, 385 années précisément, afin de parvenir jusqu'en 2004 où la faille est amenée à se rouvrir, et doit permettre au démon des temps anciens d'installer définitivement le chaos sur Terre. Si vous trouvez cela particulièrement alambiqué, rassurez-vous, comme je l'ai dit un peu plus haut, Gisaku est un oeuvre réellement atypique, aussi bien par son approche, qu'en terme de contenu, disons même passablement compliquée dans ce qu'elle raconte, tout en s'avérant étriquée. On rentre et on sort du film sans forcément avoir tout compris, comme si le développement du film avait été précipité pour réussir à tenir les délais imposés par l'exposition internationale de 2005.

C'est à ce niveau que l'on pourra faire le principal reproche à Gisaku, l'histoire va vite, trop vite même, ne laissant pas le temps au spectateur de s'approprier correctement tout ce qui s'y passe. Le scénario ne s'encombre d'ailleurs pas d'expliquer quoi que ce soit, même la plupart des personnages ne s'interrogent pas vraiment de toutes les choses inhabituelles qui se produisent autour d'eux. Le jeune Riki ne s'étonne pas que Yohei a traversé le temps, encore moins son grand-père, certes très ouvert d'esprit, qui accepte aussi cela sans discuter. Gisaku simplifie également au maximum tout ce qui a trait à la faille spatio-temporelle qui s'ouvre tous les 385 années. Tout au plus sait-on que celle-ci s'ouvre sur une dimension démoniaque, mais c'est tout. Pourquoi s'ouvre-t-elle de façon cyclique ? Pourquoi le méchant Gorkan ne vieillit pas ? D'où tire-t-il ses pouvoirs ? On ne le saura sans doute jamais, Gisaku élude totalement ce type de questionnement au profit de l'action pure. Tout s'enchaine à une vitesse tellement folle que l'intrigue n'a pratiquement même pas le temps de présenter les divers personnages qui finiront par constituer le groupe de héros, par ailleurs assez bigarré et aux objectifs respectifs radicalement opposés.

Gisaku est un long métrage qui déstabilise beaucoup ses spectateurs qui doivent tout accepter sans broncher. De toute façon, c'est l'unique manière possible d'aborder l'intrigue, quitte à devoir combler les trous avec son imagination. A sa décharge, Gisaku essaie de concilier narration et visite guidée des plus grands lieux touristiques d'Espagne, n'oublions pas que le film a été conçu dans le but de représenter le pays au Japon. Du coup, les artistes espagnols semblent tellement aimer leur pays, qu'ils font inexorablement pencher la balance vers le forme plutôt que le fond. Chaque scène du film est ainsi un gros prétexte à visiter les lieux les plus emblématiques des grandes villes du pays, en commençant par la cathédrale de Séville, ils se rendent ensuite à l'Océnografic géant de Valence, font un détour par le stade olympique de Madrid, rencontrent une scientifique au Musée Domus de La Corogne, traversent la vallée du Jerte (dont la floraison spectaculaire des cerisiers fait écho à ceux du Japon), volent un objet au Palais royal d'Olite, se font attaquer dans le célèbre Parc Güell imaginé par Antoni Gaudí à Barcelone, sans oublier de terminer l'aventure aux îles baléares. Le long métrage ne manque pas non plus de représenter la culture espagnole, dévoilant certaines grandes toiles exposées en Espagne ("Le chariot de foin", de Jérôme Bosch par exemple), les spécialités gastronomiques (vin, friture, charcuterie...), les grandes oeuvres de littérature (dont une étonnante utilisation de L'ingénieux Hidalgo Don Quichotte de la Manche), ou même certaines prouesses technologiques comme le dirigeable inventé par Leornardo Torres Quevedo en 1902, qui sera utilisé par les personnages. Bref, le long métrage est une grande carte postale interactive et touristique de l'Espagne sans avoir besoin de quitter son salon.

Visuellement, Gisaku entremêle trois styles graphiques. Les décors, visuellement très riches, se veulent la majorité du temps très réalistes. Sans égaler la prouesse graphique de Le bossu de Notre-Dame, sans nul doute encore aujourd'hui le long métrage animé le plus beaux en terme de décors à ce jour, Gisaku propose une expérience visuelle très détaillée. En même temps, ce choix est volontaire afin de retranscrire avec la plus grande fidélité les divers lieux emblématiques d'Espagne. Même si l'on n'y a jamais mis les pied, une simple photographie de chacun de ces endroits mise à côté de sa version animée démontre à quel point la fidélité est de mise. Pour ce qui concerne les véhicules, Gisaku utilise presque exclusivement la technologie numérique. Globalement, le choix esthétique est relativement harmonieux. Plus déstabilisant au début, mais dont on finit par s'accoutumer, le design des personnages concilie l'animation européenne et japonaise. Ce n'est ni réaliste, ni cartoon, à la limite de la bande dessinée européenne et du manga japonais. On retrouve aussi cette même "moitié-moitié" dans la psychologie des personnages dont les caractéristiques, très stéréotypées, peuvent se trouver dans des centaines d'oeuvres européennes ou japonaises. Enfin, Gisaku propose également une bande originale très soignée, dont la majorité des airs entendus évoquent évidemment l'Espagne mais aussi, ce qui est plus étonnant, le style celtique à travers l'usage de la gaïta gallega, la cornemuse propre à la région de Galice.

En fin de compte, Gisaku n'est pas si mal à suivre. Il pêche avant tout par son scénario bien trop peu développé, bourré de gros trous qu'on l'on a bien du mal à combler, alors que l'histoire invente une mythologie qui semble étonnamment riche. En vérité, il semble évident que Filmax Animation a été pris par le temps et a donc dû rendre sa copie au plus vite pour que le film puisse être proposé à temps à l'exposition internationale spécialisée d'Aichi. Du coup, Gisaku ressemble aujourd'hui à une sorte de grand pilote d'une série télévisée animée avortée, car l'intrigue introduit de nombreuses pistes intéressantes sans pouvoir les développer ensuite, là où une série télévisée aurait pu enrichir considérablement l'univers. C'est d'autant plus gênant que le film s'achève en laissant une grande porte entrouverte à une suite qui n'a jamais existé. C'est bien dommage qu'il n'y en ai pas eu car Gisaku ressemble désormais à une oeuvre bancale et, en partie, inachevée.

Olivier J.H. Kosinski - 30 novembre 2019

Bande annonce

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