Analyse de l'oeuvre
Le début des années 2000 est un paradoxe à lui tout seul pour la compagnie Disney. D'un côté, leurs plus grands films d'animation qualitatifs sortent au cinéma dans la plus grande indifférence, laminés par l'ère de la 3D grand public, de l'autre leurs suites de piètre qualité, pourtant, de plus en plus conspuées, s'arrachent plus vite qu'un premier jour de solde. Après avoir testé la popularité et l'intérêt d'une suite pour la première fois portée au cinéma, à savoir Peter Pan 2 - Retour au pays imaginaire, l'empire de Mickey lance dans l'allégresse sa nouvelle division DisneyToon Studios. En maître mot, une qualité technique un peu plus élevée que du temps où Disney Television Animation s'en occupait, mais avec un budget sans commune mesure avec les films Walt Disney Animation Studios. Cela fonctionne tellement bien que Disney n'a désormais plus du tout froid au yeux, annonçant à tout va encore plus de nouvelles suites. Sans oublier, bien évidemment, la nouvelle idée fantastique d'exploiter encore et encore les films les plus populaires : Le roi lion 3, Cendrillon 3, Mulan III, Le livre de la jungle 3 et même Aladdin 4 sont envisagés, en plus d'autres suites non souhaités, comme Pinocchio 2, Les aristochats 2, Hercule 2, Chicken Little 2 ou encore Dumbo II. Avec le rachat des studios Pixar et la nomination de John Lasseter à la tête du département animation en 2006, seules les deux premières vont finalement voir le jour, ce qui est déjà beaucoup trop.
Le roi lion, évidemment, n'échappe donc pas au phénomène. Comment Disney pourrait bien l'oublier ? Il s'agissait, jusqu'à l'avènement de Le monde de Nemo en 2003, du film d'animation le plus lucratif de tous les temps. Le roi lion II - L'honneur de la tribu s'était lui-même très bien vendu, sans compter qu'une large partie des consommateurs saluait la qualité de cette suite. C'était inévitable qu'un nouvel opus pointe le bout de son nez. Problème : que fallait-il raconter ? Aussi intéressant qu'avait pu être Le roi lion II - L'honneur de la tribu, c'était surtout un bon gros bricolage récupérant les miettes inutilisées de son aîné. Certes, le rendu final s'avérait satisfaisant, mais l'originalité de l'opus, on ne l'a encore jamais trouvée. L'idée va toutefois vite germer dans l'esprit des artistes de DisneyToon Studios : utiliser les fameux compères Timon et Pumbaa dont la popularité avait très largement dépassé les seules frontières du long métrage où ils sont apparus pour la première fois. A tel point qu'ils ont été les héros de leur propre série d'animation ! C'est autour d'eux que va alors tourner l'intégralité du scénario de Le roi lion 3 - Hakuna Matata. C'est d'autant plus évident que le duo avait été assez peu exploité dans le second opus où leur rôle, et leur utilité, restaient globalement en retrait. Ce qui rendait leurs apparitions plus mémorables à mon sens.
Pour parvenir à leurs fins, DisneyToon Studios imagine une histoire décomplexée à forte dominante burlesque, disons même complètement absurde. Mais pour atteindre ce but, il faut passer par une complète réécriture de tout ce que l'on croyait savoir de la franchise. Le roi lion 3 - Hakuna Matata doit adopter une formule hybride qui remet absolument tout en question, en provoquant d'innombrables incohérences narratives. Le long métrage mêle entre elles deux idées qui s'opposent à la base : d'un côté, raconter les origines de la rencontre de Timon et Pumbaa ; de l'autre, dévoiler les évènements passés sous silence dans le premier film. Si l'idée sur le papier est plutôt pertinente, l'intrigue crée cependant une multitude de paradoxes temporels rendant, de fait, tout le scénario du film invraisemblable. A cela s'ajoute le fait de briser constamment le quatrième mur, Timon et Pumbaa intervenant très régulièrement pour stopper la projection pour raconter des anecdotes inintéressantes. Un procédé qui n'est pas si nouveau, Kuzco, l'empereur mégalo l'avait déjà expérimenté, mais ce long métrage assumait pleinement son côté déluré. Le roi lion 3 - Hakuna Matata n'a pas cette même chance, car le film ne sait pas sur quel pied danser. Est-il parodique ou est-il sérieux ? C'est un peu des deux à la fois, ce qui gêne constamment la narration.
C'est dommage d'ailleurs, car la meilleure partie du film reste incontestablement cette relecture délurée du premier film. Il vaut d'ailleurs mieux considérer que Timon et Pumbaa nous font croire qu'ils étaient présents tout au long de l'aventure de Simba, plutôt que ce soit une vérité absolue. Une chose que l'on doit se forcer à accepter car, dans le cas contraire, chaque scène pullule d'incohérence qui sautent aux yeux par rapport au premier film. En prenant Le roi lion 3 - Hakuna Matata par le coin parodique, on se réjouit assez vite des situations improbables expliquant, ça et là, des évènements aperçus dans le premier film. La plupart de ces scènes fonctionnent à peu près toutes. On ne peut pas en dire autant de tout ce qui se passe avant et après. Le roi lion 3 - Hakuna Matata se concentre en effet quasi-exclusivement sur Timon, désacralisant complètement le personnage. Le voici doté d'une famille envahissante et d'un caractère de doux-dingue gaffeur, opportuniste et un peu trop rêveur sur les bords. S'il on oublie la qualité exemplaire des doublages anglais et français du personnage, qui font passer la pilule, on ne reconnaît à aucun moment le Timon enjoué et sans souci d'autrefois. Quant à sa rencontre avec Pumbaa, en dehors du fait qu'elle remet en cause ce que la série télévisée avait dévoilée auparavant, elle reste tristement anecdotique. Et, là encore, Pumbaa se voit désormais affublé d'une conscience, rien à voir avec le gentil ingénu qu'il était auparavant.
Du point de vue technique, Le roi lion 3 - Hakuna Matata se place un cran au-dessus de Le roi lion II - L'honneur de la tribu mais, sans surprise, toujours très en deçà de Le roi lion. Comme le second opus avant lui, le long métrage réutilise beaucoup de décors du premier film, ce qui renforce cette impression d'être devant un film qualitatif, mais l'illusion se dissipe malheureusement très vite. Car Le roi lion 3 - Hakuna Matata à la très malheureuse idée de réutiliser plusieurs scènes issues du premier film dont la qualité technique très haut dessus du reste se remarque aisément. Plus gênant, le long métrage recrée d'autres scènes façon papier décalque mais avec un talent bien moindre, ce qui désacralise à leur tour les scènes les plus iconiques du premier film. Bref, Le roi lion 3 - Hakuna Matata c'est globalement joli mais ça sonne constamment faux. Cela ne s'arrange pas vraiment non plus du côté de la bande originale dont toutes les sonorités africaines ont été éliminées. Disons plutôt que DisneyToon Studios n'ayant plus rien à exploiter comme matière première a dû improviser mais sans jamais chercher une seule fois à se rapprocher des sonorités des deux premiers opus. Est-ce une bonne ou une mauvaise idée ? Je ne saurai vraiment pas trancher, car le film fait volontairement bande à part par rapport à ses deux prédécesseurs. Toujours est-il que les chansons de Le roi lion 3 - Hakuna Matata ne s'avèrent ni mémorable ni aussi marquantes que celles des deux premiers opus. Tout juste laissent-elles un sentiment de chansons abrutissantes et sans rythme.
Au final, Le roi lion 3 - Hakuna Matata est techniquement l'opus le plus abouti sur le plan technique des deux suites, mais il est globalement très en dessous de Le roi lion II - L'honneur de la tribu pour ce qui est de sa légitimité. Bien qu'il n'innove sur aucun point, le second film réussissait à offrir un prolongement aux aventures des personnages. Celui-ci s'avère tout au contraire anecdotique, opportuniste et sans réel intérêt, ceci même s'il parvient à nous tirer quelques sourires. De plus, les interventions incessantes de Timon et Pumbaa plombent le film, rendant la plupart de leurs réactions aussi encombrantes que fatigantes. Elles ne sont ni drôles, ni amusantes et interviennent à des moments totalement inappropriés, sans que le scénario du film ne le justifie, au contraire des interventions de Kuzco. Bref, tout ce qu'il faut retenir de Le roi lion 3 - Hakuna Matata, ce sont les dix minutes où les personnages revisitent le début du premier film et les dix autres minutes où le duo tente d'éduquer Simba. Tout le reste est à jeter.
Olivier J.H. Kosinski - 22 juillet 2022
