Accueil Rechercher Contact Menu Ξ
x
Chercher dans Analyses Catalogue Dossiers Actualités Petites Renconstres

Les Petites Rencontres
Rencontre avec Alain Temime

Ratatouille : Tout le monde peut cuisiner ?

Les Petites Rencontres, c'est explorer l'animation sous un angle inédit. Je vous propose ainsi d'aller à la rencontre de personnes qui sont simplement passionnées ou bien spécialisées dans un domaine, un métier ou une discipline. Dans quel but ? Qu'elles nous apportent leur expertise autour de leur passion ou de leur activité qui est retranscrite par les studios d'animation ! Pour cette cinquième rencontre, j'ai proposé à Alain Temime d'évoquer les petits secrets des restaurateurs que l'on découvre dans le film Ratatouille réalisé par le studio Pixar.

Bonjour Alain , peux tu te présenter en quelques mots ?

Je m'appelle Alain Temime, j'ai 49 ans et je suis le propriétaire du restaurant Villa 29 à Montpellier depuis 2011. Auparavant, j'ai tenu un autre restaurant, toujours à Montpellier, pendant 15 ans. J'ai commencé la restauration à l'âge de 17 ans, d'abord comme serveur, chez différents employeurs, avec toujours l'envie de cuisiner, jusqu'à ce que je franchisse le pas et ouvre mon propre établissement. J'habitais un quartier où il n'y avait pas de restaurant, et j'étais frustré de ne pas trouver d'endroit où me restaurer les jours où je ne travaillais pas. Je me suis dit que les autres habitants de ce quartier devaient le regretter aussi, et cela m'a décidé à me lancer !

La cuisine est-elle une passion ?

Oui. Comme c'est un métier difficile, il faut que cela en soit une pour pouvoir le supporter et pour ne pas être découragé par le nombre d'heures de travail à y consacrer.


Plaisir des yeux pour commencer ?
Crédits : ©Villa 29

A quel moment as-tu décidé d'en faire ton métier ?

C'est une envie que j'ai depuis l'enfance. L'envie de faire plaisir, de partager, de découvrir et faire connaître de nouvelles saveurs. On cuisinait beaucoup dans ma famille, les repas étaient des moments très importants, synonymes de retrouvailles, de fête et de partage. En regardant mes tantes cuisiner, j'ai eu envie de faire ce métier et j'ai tout fait pour y arriver, en apprenant par moi-même, en observant énormément. Je n'ai pas eu la patience de faire une école hôtelière, j'ai voulu me lancer tout de suite, et apprendre mon métier sur le tas, car c'est le type d'apprentissage qui me convient le mieux.

Comment se décide le contenu d'une carte, d'un menu ou d'un plat du jour ?

Pour élaborer une carte, il faut en principe travailler selon les saisons, avec les légumes et les fruits du moment. Il faut aussi apprendre à écouter les désirs et les envies de ses clients et les concilier à la fois avec ce qu'on a envie de proposer, et ce qu'il est réaliste – et rentable – de proposer. L'élaboration d'une nouvelle carte est difficile, car c'est à chaque fois une remise en question et un nouveau challenge.

Pour un plat du jour, c'est plus spontané, il y a moins de paramètres à prendre en compte, et c'est l'envie et l'humeur du chef qui prime.


Une salade méditerranéenne comme mise en bouche ?
Crédits : ©Villa 29

Peux-tu nous raconter une journée-type au restaurant Villa 29 ?

Une journée-type commence le matin, par la livraison des produits frais (les légumes, les poissons, la viande). Il faut vérifier la qualité de ces produits avant leur mise en place. Ensuite vient le moment des préparations : découpe des légumes, cuissons, réalisation des sauces. Vers 10h, l'équipe de salle arrive et commence le nettoyage de la salle, avant de procéder à la mise en place. Avant que le service ne commence, je vérifie toujours la salle, de la disposition des tables à la position des couverts, car je considère que la qualité d'un restaurant ne dépend pas que de la qualité des plats qui y sont servis. Il faut que le client apprécie autant le cadre, l'ambiance, la décoration que les plats que je lui prépare. C'est à chaque fois comme au théâtre, avec l'entrée en scène des acteurs, et des spectateurs dans la salle qui attendent le meilleur de nous.

Le service du midi nous occupe jusqu'à 15h30 environ. Après le départ des derniers clients, c'est terminé pour moi en cuisine, mais commencent la plonge et le nettoyage de la salle, qu'il faut immédiatement redresser pour le service du soir. Je consacre mon après-midi à des tâches administratives ou pour faire des courses, encore, car je ne cuisine que des produits frais, et c'est agréable de faire soi-même son marché pour trouver l'inspiration. Vers 18h30, tout recommence pour le service du soir, qui nous mènera jusqu'à minuit ou une heure du matin.

Cette organisation rigoureuse autour du service et de sa préparation, qui se répète deux fois dans la même journée, peut faire passer ce métier comme extrêmement routinier. Mais c'est un cadre indispensable qu'il faut respecter ; c'est ensuite autour de ce cadre strict que l'on pourra faire une petite place à l'improvisation et l'inattendu, puisque chaque client, chaque convive sera différent, et que chaque jour apportera son humeur différente.

Il y a les services du midi, différents de ceux du soir, où les clients prennent davantage leur temps. Il y a les services de début de semaine, plus tranquilles que ceux du week-end, où les clients sont d'humeur festive. Il y a les services de la saison d'été, qui commencent plus tard, où les clients traînent en terrasse… Au fil du temps et des saisons, on s'aperçoit que chaque journée est, malgré tout, différente. Notre partition reste la même, mais c'est notre humeur qui fait varier le tempo.


Humour, tendresse ou terreur culinaire ?
Crédits : ©Disney « La petite sirène » 1989 / « La belle et le clochard » 1955 / « Blanche-Neige et les sept nains » 1937

Est-ce que des films d'animation t'ont marqués d'un point de vue culinaire ?

Je pense spontanément à la scène des spaghettis dans La belle et le clochard, qui se termine par un baiser, et la métaphore me plait bien puisque cela définit la cuisine comme un moment de découverte, de partage et de plaisir. Je pense à la séquence musicale « Les poissons » de La petite Sirène où le cuisinier prépare une recette sous l'oeil apeuré du crabe rouge Sébastien. Et puis, même si ce n'est pas un film d'animation (bien que l'univers enchanté que lui a donné Jacques Demy ne soit pas éloigné du charme des dessins-animés), je ne peux m'empêcher de citer La recette pour un cake d'amour de Peau d'Âne. C'est beaucoup mieux que d'autres références, souvent dramatiques, à l'alimentation, comme la pomme empoisonnée de Blanche-Neige et les sept nains !

Et qu'en est-il du film Ratatouille, réalisé par le studio Pixar ?

La force du film réside dans le grand réalisme des scènes de cuisine, au milieu d'une histoire complètement loufoque. Un très grand soin a été apporté à la description de ce milieu professionnel, car il fallait dès le départ que le talent de Remy paraisse incontestable, et qu'on le considère à sa juste place dans cette cuisine.
On retrouve alors beaucoup de détails très réalistes, et ce dès les premières scènes, avant que Rémy n'arrive chez Gusteau. Dès ses premières expéditions dans la cuisine de la grand-mère, on découvre quantité de produits et d'épices. Lorsqu'il arrive ensuite chez Gusteau, les premières courses-poursuites le long des étagères pour échapper à la vue de la brigade nous donnent l'occasion de retrouver tous les ustensiles et produits qu'on trouve dans toute cuisine professionnelle. Tous les cuisiniers du monde entier auront reconnu tel ou tel récipient (les petites bouteilles en plastique utilisées pour les assaisonnements, les grands plats métalliques où se stockent les légumes une fois qu'ils ont été préparés), tel ou tel ustensile. Le métier y est abordé à la fois de façon très réaliste et didactique (on insiste plusieurs fois dans les dialogues et le décor sur l'importance de se laver les mains avant de cuisiner), tout en insistant sur le côté sensuel des saveurs et des goûts. Cette partie est d'ailleurs moins réussie : les créateurs ont cherché à reproduire visuellement, par des formes et des couleurs, les sensations gustatives, lorsque Rémy cherche à éduquer le palais de son frère, mais le procédé, pourtant utilisé à deux reprises dans le film, reste un peu artificiel. Mais ce n'est qu'un petit défaut, on sait qu'il est pratiquement impossible de restituer fidèlement au cinéma les sensations (le roman Le parfum de Patrick Suskind a difficilement été adapté au cinéma pour la même raison).


En entrée, une soupe froide de potiron et toast de magrets au chèvre chaud ?
Crédits : ©Villa 29

Colette propose un cours accéléré de bonnes pratiques en cuisine. Est-ce correct ou manque-t-il quelque chose ?

Ce cours donne en effet quelques règles de base : toujours bien nettoyer son plan de travail, garder les bras le long du corps pour éviter de se salir et de se blesser, pour éviter de perdre du temps, de ralentir le rythme, et au final de faire attendre le client. C'est particulièrement vrai, une organisation stricte est indispensable : en cuisine, ce sont les temps de cuisson qui dictent la cadence, et pas les cuisiniers. C'est quand le plat est cuit qu'il faut être prêt, ni avant ni après.

Mais il y a évidemment des dizaines d'autres règles à connaître et à mettre en pratique. Disons que celles-là permettent juste de ne pas se faire virer dès le premier jour !


Les patins à roulette, un outil efficace mais irréaliste pour le service d'un tel restaurant
Extrait du film Ratatouille
Crédits : ©Disney/Pixar 2007

Les artistes de Pixar ont-ils bien représentés les temps forts en cuisine et le service en salle ?

Le service en salle n'est pas du tout abordé de façon réaliste, parce que la salle de Chez Gusteau est beaucoup trop grande pour un seul serveur (même s'il chausse des patins à roulettes pour aller plus vite) ! Pour ces scènes, on est dans le divertissement pur, alors que les scènes décrivant le travail en cuisine insistent davantage sur la réalité du métier. On retrouve cet aspect didactique lorsque l'esprit de Gusteau teste Rémy sur ses connaissances, et lui demande de lui désigner qui est le chef, qui est le second, qui est le saucier etc.

Que penses-tu de la recette impossible de Gusteau ?
(NDR : Riz de veau à la Gusteau : Riz de veau cuit dans une croûte de sel, marin aux algues avec des tentacules de seiche, de la purée de Cynorhodon, des oeufs d'esturgeons, des champignons japonais et des anchois au jus de réglisse !)

Cette recette symbolise à elle seule tout l'esprit du film : à la fois parfaitement réaliste et complètement loufoque. Réaliste, car tous ces ingrédients existent, pourraient donc être achetés et cuisinés ! Nous ne sommes pas dans une recette totalement imaginaire, comme le Gloubi-Boulga de Casimir ou la potion magique d'Astérix.


En plat de résistance, tartare de boeuf façon thaï ?
Crédits : ©Villa 29

Les inspecteurs sanitaires sont-ils aussi terribles que dans le film ?

L'hygiène et le respect des normes est primordial dans notre métier, ce n'est même pas un effort supplémentaire que l'on consent à faire, cela fait partie intégrante de nos pratiques et de notre quotidien. Alors, quand on est sûr de soi et de ses pratiques, on ne craint pas les contrôles. Ceux-ci sont réguliers, et extrêmement stricts. Mieux vaut d'ailleurs qu'ils le soient, pour confondre les responsables de restaurants les moins scrupuleux, qui nuisent à la profession.

La grande force de Ratatouille est quand même de faire accepter aux spectateurs l'idée que cet animal, qui symbolise dans l'inconscient collectif la saleté et l'insalubrité, est tout à fait à sa place dans une cuisine ! Pour qu'on parvienne à oublier qu'il est un rat, Rémy nous est d'entrée présenté comme un rat différent des autres, d'abord par son physique (sa couleur, sa taille) puis au travers de son comportement (il se tient sur ses pattes arrières pour ne pas se salir les pattes avant avec lesquelles il mange). On le voit clairement se laver les mains avant d'attaquer sa première recette, et lorsqu'il devient officiellement cuisinier, c'est au travers d'un voile (le tissu de la toque) qu'il officie, sans prise directe avec les aliments. Ces précautions, en plus de la sympathie immédiate qu'on ressent pour lui lorsqu'il se retrouve seul et abandonné, sont nécessaires pour que le spectateur puisse dépasser ses préjugés sanitaires.

Qu'en est-il du critique culinaire, est-ce réellement la hantise des chefs, comme dans le film ?

Oui, les critiques gastronomiques exercent une pression, mais surtout pour les grands chefs étoilés, qui courent après les étoiles et se battent pour les conserver. Pour la très grande majorité des restaurateurs, chaque client est un critique gastronomique. Tout mettre en oeuvre pour les satisfaire fait peser sur nos épaules une pression constante et très forte, d'autant plus que les réseaux sociaux nous ont fait entrer dans l'ère du commentaire. Chacun s'autorise à avoir un avis, le partage et le publie. Chacun commente, affirme, claironne « j'aime » ou « j'aime pas » et s'érige en spécialiste. Mais rares sont ceux qui argumentent : la critique tombe donc, brutale, parfois assassine, mais sans justification. Les grands chefs craignent les critiques du Gault&Millau ; nous craignons celles de TripAdviser, qui est – malgré nous – devenu un baromètre incontournable dans la profession.


Aviez-vous remarqué cette forme sinistre ?
Extrait du film Ratatouille
Crédits : ©Disney/Pixar 2007

Pour en revenir à Anton Ego, je trouve que le personnage est très intéressant, puisqu'il connaît une véritable évolution tout au long du film. Présenté d'entrée comme antipathique et aigri (si maigre et longiligne, là où Gusteau est tout en chair et jovial), sûr de lui (d'où son nom – « moi je ») et lugubre (son teint blafard) ce personnage est associé à la mort : il est responsable de celle de Gusteau, La scène qui le montre dans son bureau commence d'ailleurs par un plan vu d'en haut, et on remarque que la pièce a clairement la forme octogonale d'un cercueil. Il finira par s'humaniser, à nos yeux, dès qu'il goûte la cuisine de Rémy et replonge en enfance grâce à elle. Comme les autres personnages du film (Remy, Linguini, Colette), il suit un parcours initiatique, et s'améliore tout au long du film, alors que les autres personnages négatifs, eux, n'évoluent pas (le chef Skinner ou les autres membres de la brigade). Pour cette raison, on ne peut pas placer Anton Ego du côté des « méchants ».

Gusteau prône que tout le monde peut cuisiner tandis qu'Anton Ego préfère dire que c'est avant tout un art. Un avis sur ces deux visions ?

Je modèrerai un peu le propos de Gusteau : tout le monde ne peut pas cuisiner, mais tous ceux qui aiment cuisiner peuvent devenir cuisiner. Avant tout, il faut qu'il y ait l'envie. Ensuite, ce n'est qu'une question de volonté pour y parvenir. L'apprentissage de la technique est un plus, et tant mieux si on peut faire des études poussées dans des écoles pour l'acquérir, mais ce n'est pas, à mon avis, la condition indispensable. Ce qui décide de tout, c'est l'envie de cuisiner. Et tout le monde ne l'a pas. Même quand je suis chez moi, et que je cuisine un plat de pâtes, j'ai toujours envie de l'agrémenter d'un petit quelque chose, une épice, un condiment, une présentation un peu jolie. Je ne le fais pas pour un client, je le fais pour moi, parce que j'en ai envie. Si c'est un art, c'est surtout l'art de se faire plaisir.


Et pour le dessert, pourquoi pas une forêt noire ?
Crédits : ©Villa 29

Quels conseils donnerais-tu à un débutant ?

De faire confiance à son envie, justement. De se faire confiance. D'oser, et surtout de ne pas avoir peur du parcours long et difficile qui l'attend. C'est un métier rude, où on ne compte pas ses heures, où il faut se remettre en question, où on est en proie à la critique. Cette dureté est évoquée dans le film, au travers du personnage de Colette, qui a du mal à se faire une place en tant que femme dans ce milieu, de Gusteau, qui a tout perdu après avoir été le meilleur cuisinier de Paris. Mais c'est un beau métier, si on le pratique avec sincérité et authenticité. C'est la morale du film : il ne faut pas forcément chercher à faire de ce métier un business (la gamme de produits surgelés du chef Skinner ne verra jamais le jour), il ne faut pas dévier de la route qu'on s'est tracé, et faire de son restaurant un lieu qui nous ressemble, comme Rémy et son bistrot « Chez ratatouille ».

Mes remerciements culinaires à Alain Temime pour avoir pu répondre à mes questions !

Olivier J.H. Kosinski - 01 mars 2017